Léon l'Africain
ainsi que mon tempérament.
Désormais, il me fallait quitter l’Égypte, où
Bayazid et sa mère étaient en danger. Nour avait maintenu sa grossesse secrète,
sauf pour Khadra qui l’avait aidée à accoucher et avait gardé l’enfant depuis
le premier jour. Que la gouvernante, déjà vieille, vînt à mourir, et l’enfant
devrait être ramené au Caire, où son identité serait vite devinée. Il serait
alors à la merci des agents de Sélim, nombreux en Égypte ; il pourrait
même être livré par le sultan Kansoh lui-même qui, tout en se méfiant au plus
haut point des Ottomans, avait trop peur d’eux pour leur refuser la tête d’un
enfant.
Ma solution était toute trouvée : épouser
Nour et partir avec l’enfant à Fès, où je pourrais le présenter comme mien,
pour revenir en Égypte lorsqu’il serait plus grand et que son âge ne trahirait
plus son origine.
Le mariage fut simple, puisque Nour était veuve.
Quelques amis et voisins se rencontrèrent chez moi pour un repas, avec parmi
eux un notaire d’origine andalouse. Au moment d’établir le contrat, celui-ci
remarqua l’icône et la croix au mur. Il me pria de les décrocher.
« Je ne le peux pas, dis-je. J’ai promis au
propriétaire de cette demeure de ne pas y toucher jusqu’à son retour. »
L’homme de loi semblait embarrassé, les invités
également. Jusqu’au moment où Nour intervint :
« Si on ne peut enlever ces objets, rien n’interdit
de les couvrir. »
Et, sans attendre de réponse, elle rapprocha du
mur un paravent damasquiné. Satisfait, le notaire officia.
Nous ne restâmes pas plus de deux nuits dans la
maison, que je quittai avec regret. Le hasard me l’avait offerte, et laissée
près de deux ans, le copte n’ayant plus jamais reparu ni donné de ses
nouvelles. J’avais seulement appris qu’une épidémie de peste avait frappé
Assyout et sa région, décimant une grande partie de la population, et donc
imaginé que mon bienfaiteur en avait sans doute été victime. Plût à Dieu que je
me trompe, mais je ne vois pas d’autre explication à son absence, ni surtout à
son silence. Avant de partir, je déposai néanmoins les clefs entre les mains de
mon orfèvre, Daoud l’Alépin. Étant le propre frère de Yaacoub, le gérant de l’Hôtel
de la Monnaie, un familier du sultan, il pouvait mieux qu’un autre empêcher
quelque mamelouk de s’approprier la maison vide.
Notre voyage débuta au mois de safar, à la
veille des Pâques chrétiennes. La première station fut la masure de Khadra,
près de Guizeh, où nous passâmes une nuit, avant de revenir, avec Bayazid,
alors âgé de seize mois, en direction de Boulak, le grand port fluvial du
Caire. Grâce à un judicieux bakchich, nous pûmes embarquer sans délai sur une
djerme qui transportait vers Alexandrie une cargaison de sucre raffiné
provenant de la fabrique personnelle du sultan. Les embarcations étaient
nombreuses à Boulak, et certaines fort confortables, mais je tenais à arriver
au port d’Alexandrie sous l’emblème du souverain, ayant été averti par des amis
des difficultés rencontrées aux douanes. Certains voyageurs y étaient fouillés
jusqu’à la culotte, à l’arrivée comme au départ, par des fonctionnaires
tatillons qui taxaient non seulement la marchandise mais également les dinars.
En évitant ce désagrément, je n’en pouvais que
mieux apprécier la grandeur de cette cité antique, fondée par Alexandre le
Grand, un souverain dont le Coran parle en termes élogieux et dont la tombe est
un lieu de pèlerinage pour les dévots. Il est vrai que la ville n’est plus que
l’ombre de ce qu’elle fut. Les habitants se rappellent encore le temps où des
centaines de navires mouillaient en permanence dans son port, venant de
Flandre, d’Angleterre, de Biscaye, du Portugal, des Pouilles, de Sicile, et
surtout de Venise, de Gênes, de Raguse et de la Grèce turque. Cette année-là
seuls les souvenirs encombraient encore la rade.
Au milieu de la ville, face au port, se trouve une
colline qui n’existait pas, dit-on, au temps des Anciens, et n’a été formée que
par l’amoncellement des ruines. En y fouillant, on y trouve souvent des vases
et d’autres objets de valeur. Sur cette hauteur une petite tour a été bâtie, où
réside à longueur de jour et de nuit un guetteur dont le rôle est de surveiller
les navires qui passent. Chaque fois qu’il en signale un aux fonctionnaires de
la douane, il touche
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