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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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remerciements.
    — Je peux écrire un poème que tu liras
toi-même.
    — Non. Nous sommes tous ici des guerriers,
alors que toi, tu as déjà rempli des missions d’ambassadeur. Tu présenteras
mieux, et c’est important : il faut que notre maître apparaisse comme un
roi, non comme un corsaire. »
    Je me tus, cherchant quelque prétexte pour
échapper à si périlleuse corvée, mais Haroun me harcelait sans répit. Sa voix
semblait venir tout droit de ma propre conscience.
    « Tu n’as pas le droit d’hésiter. Un grand
empire musulman est en train de naître en Orient, et nous, en Occident, nous
devons lui tendre la main. Jusqu’à présent, nous avons subi la loi des
infidèles. Ils ont pris Grenade et Malaga, puis Tanger, Melilla, Oran, Tripoli
et Bougie ; demain, ils s’empareront de Tlemcen, d’Alger, de Tunis. Pour
leur faire face, nous avons besoin du Grand Turc. Nous te demandons de nous
aider dans cette tâche, tu ne peux pas refuser. Aucune occupation que tu aurais
ici n’est plus importante. Et ta famille est en sécurité. De plus, tu seras
entièrement défrayé et généreusement rétribué. »
    Il ne manqua pas d’ajouter, un sourire de pirate
au coin des lèvres :
    « Bien entendu, ni moi ni mes compagnons n’oserions
dire à Barberousse que tu as refusé. »
    J’avais autant de latitude qu’un oisillon
poursuivi par un faucon. Ne pouvant révéler la véritable cause de mon
hésitation sans trahir le secret de Nour, je ne parvenais pas à argumenter.
    « Quand faudrait-il embarquer ?
    — Cette nuit même. La flotte nous attend à La
Goulette. Nous avons fait le détour pour te prendre. »
    Comme si je formulais la dernière volonté d’un
condamné, je demandai à parler à Nour.
    Sa réaction fut admirable, non pas celle de la
femme de bourgeois qu’elle était devenue par notre mariage, mais celle de la
fille de soldat qu’elle avait toujours été. Et de la mère de sultan qu’elle
espérait devenir. Elle était debout dans notre chambre, visage et cheveux
découverts, tête haute, regard direct.
    « Il faut que tu y ailles ? »
    C’était à mi-chemin entre l’interrogation et la
constatation.
    « Oui, dis-je seulement.
    — Crois-tu qu’il y ait un traquenard ?
    — Aucun. J’en donnerais ma tête à
couper !
    — C’est précisément ce qu’il faut éviter.
Mais, si tu as si grande confiance en Haroun, allons-y tous. »
    Je n’étais pas sûr d’avoir compris. Elle m’expliqua
d’une voix décidée :
    « Il faut que les yeux de Bayazid puissent
contempler sa ville et son palais. Peut-être n’aura-t-il pas d’autre occasion
dans sa jeunesse. Le voyage par mer comporte des dangers, certes, mais mon fils
doit s’y habituer. Il revient à Dieu de le préserver ou de le faire
périr. »
    Elle était si sûre d’elle que je n’osai pas
discuter ses raisons, préférant biaiser :
    « Haroun n’acceptera jamais que j’emmène
femme et enfant.
    — Si tu accèdes à sa demande, il ne peut
refuser la tienne. Parle-lui, tu sauras trouver les mots. »
    À l’aube, nous avions déjà dépassé Gammart. Le mal
de mer aidant, j’avais l’impression de voguer en plein cauchemar.
     
    *
     
    Étrange cité, Constantinople. Si chargée d’histoire,
et pourtant si neuve, par ses pierres et par ses hommes. En moins de
soixante-dix ans d’occupation turque, elle a totalement changé de visage. Il y
a certes toujours Sainte-Sophie, la cathédrale devenue mosquée, où le sultan a
l’habitude de se rendre en cortège chaque vendredi. Mais la plupart des
bâtiments ont été élevés par les nouveaux conquérants, et d’autres poussent
chaque jour, palais, mosquées et médersas, ou même simples baraquements
de bois dans lesquels viennent s’entasser des milliers de Turcs fraîchement
arrivés des steppes où ils nomadisaient.
    Malgré cet exode, le peuple vainqueur demeure,
dans sa capitale, une minorité parmi d’autres, nullement la plus nantie, à l’exception
de la famille régnante. Dans les plus belles villas, dans les boutiques les
mieux achalandées du bazar, on voit surtout des Arméniens, des Grecs, des
Italiens et des juifs, ces derniers venus parfois d’Andalousie après la chute
de Grenade. Ils ne sont pas moins de quarante mille et s’accordent à louer l’équité
du Grand Turc. Dans les souks, les turbans des Turcs et les calottes des
chrétiens et des juifs se côtoient sans haine ni ressentiment. À

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