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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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une prime. En revanche, s’il s’endort ou quitte son poste
et qu’un bateau arrive sans qu’il l’ait signalé, il doit payer une amende égale
au double de sa prime.
    À l’extérieur de la cité, on peut voir également
des ruines importantes, au milieu desquelles s’élève une colonne très grosse et
très haute dont les livres anciens racontent qu’elle fut bâtie par un savant
nommé Ptolémée. Il avait placé à son sommet un grand miroir d’acier qui
brûlait, dit-on, tout bateau ennemi qui tentait de s’approcher de la côte.
    Il y avait certes bien d’autres choses à visiter,
mais nous étions tous pressés de partir, nous promettant de revenir un jour à
Alexandrie l’esprit quiet. Nous embarquâmes donc sur un navire égyptien en partance
pour Tlemcen, où nous nous reposâmes une semaine entière avant de nous engager
sur la route.
     
    *
     
    J’avais revêtu mes habits maghrébins et, en
franchissant l’enceinte de Fès, je m’étais couvert le visage d’un taylassan. Je ne voulais pas que mon arrivée fût connue avant que je n’aie rencontré les
miens. Les miens, c’est-à-dire mon père, ma mère, Warda, Sarwat ma fille de six
ans, ainsi que Haroun et Mariam, que je n’avais pas espoir de voir, mais dont j’escomptais
des nouvelles.
    Pourtant, je ne pus m’empêcher de commencer par m’arrêter
devant le chantier de mon palais. Il était exactement comme je l’avais
abandonné, sauf que l’herbe avait poussé, couvrant les murs inachevés. Je
détournai vite les yeux ainsi que le regard, plus sec, de ma mule, que je dirigeai
vers la maison de Khâli, à quelques pas de là. Je frappai. De l’intérieur
répondit la voix d’une femme que je ne reconnus pas. J’appelai ma mère par son
prénom.
    « Elle n’habite plus ici ! » dit la
voix.
    La mienne était trop étranglée par l’émotion pour
poser d’autres questions. Je partis vers la maison de mon père.
    Salma était devant la porte, qui me serra dûment
contre sa poitrine, ainsi que Nour et Bayazid, qu’elle couvrit de baisers non
sans s’étonner que j’aie donné à mon fils un nom si peu entendu et une peau si
claire. Elle ne dit rien. Seuls ses yeux parlaient, et c’est en eux que je vis
que mon père était mort. Elle me le confirma d’une larme. Mais ce n’est pas par
là qu’elle voulait commencer :
    « Nous avons peu de temps. Il faut que tu
écoutes ce que j’ai à te dire avant que tu repartes.
    — Mais je n’ai pas l’intention de
repartir !
    — Écoute-moi et tu comprendras. »
    Et ainsi elle parla pendant plus d’une heure,
peut-être deux, sans hésiter ni s’interrompre, comme si elle avait déjà
ressassé mille fois ce qu’elle me dirait le jour où je reviendrais.
    « Je ne veux pas maudire Haroun, mais ses
actes nous ont tous maudits. Pour la mort du Zerouali, personne à Fès ne l’a
blâmé. Hélas ! il ne s’est pas arrêté là. »
    Peu après mon bannissement, m’expliqua-t-elle, le
souverain avait dépêché deux cents soldats pour se saisir du Furet, mais les
montagnards avaient pris fait et cause pour lui. Seize militaires avaient été
tués dans une embuscade. Quand la nouvelle avait été connue, une proclamation
avait été placardée et lue dans les rues de Fès, annonçant que la tête de
Haroun était mise à prix. On avait placé nos maisons sous la garde de la
police. Des agents étaient là jour et nuit, questionnant de près chaque
visiteur, si bien que les amis les plus proches hésitaient à s’afficher avec la
parenté du proscrit. Depuis, chaque semaine, une nouvelle proclamation était
lue, accusant Haroun et sa bande d’avoir attaqué un convoi, dévalisé une
caravane, massacré les voyageurs.
    « Ce n’est pas vrai ! m’exclamai-je. Je
connais Haroun. Il a pu tuer pour se venger ou pour se défendre, mais pas pour
voler !
    — Ce qui est vrai n’est important que pour
Dieu ; pour nous, l’essentiel est ce que les gens croient. Ton père
songeait à émigrer à nouveau, vers Tunis ou quelque autre ville, quand son cœur
s’est tu, subitement, en ramadane de l’année dernière. »
    Salma respira longuement avant de
poursuivre :
    « Il avait invité quelques personnes à venir
rompre le jeûne en sa compagnie, mais pas un n’avait osé franchir cette porte.
La vie lui était devenue lourde à porter. Le lendemain, à l’heure de la sieste,
j’ai été réveillée par le bruit d’une chute. Il était étendu à terre,

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