Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
Vom Netzwerk:
l’accusons ? »
    Un jour, je décidai brusquement de cesser mes
démarches. Je n’avais certes pas obtenu ce que j’espérais, mais, au hasard des
conversations, j’avais glané une information que je voulais vérifier. Je revins
à Fès, pris Salma, Nour, Sarwat et Bayazid, et, sans rien leur dévoiler de mes
intentions, me mis en route, décidé à ne plus regarder en arrière. Je ne
possédais plus à Fès qu’un chantier, une ruine peuplée de regrets et vide de
souvenirs.
     
    *
     
    Notre voyage se prolongea pendant des semaines,
sans que j’en révèle la destination, qui n’était pas un lieu, mais un
homme : Arouj le corsaire, dit Barberousse. J’avais appris en effet que
Haroun était auprès de lui. Je partis donc directement sur Tlemcen, puis suivis
la route côtière vers l’est, évitant les villes occupées par les Castillans,
telles Oran ou Mers-el-Kébir, m’arrêtant dans les lieux où je pouvais
rencontrer des Grenadins, à Alger par exemple, et surtout à Cherchell, dont la
population était, en totalité ou presque, constituée de réfugiés andalous.
    Barberousse avait pris pour base la petite ville
populaire de Jijil, qu’il avait arrachée aux Génois l’année précédente.
Pourtant, avant d’y parvenir, j’appris qu’il assiégeait la garnison castillane
de Bougie. Comme cette ville se trouvait sur ma route, je décidai de m’y rendre,
laissant toutefois les miens à quelques milles de là, auprès de l’imam d’une
petite mosquée de village, tout en me promettant de revenir les prendre après
avoir inspecté le champ de bataille.
    C’est à Bougie que j’ai rencontré Barberousse,
comme je l’écris dans ma Description de l’Afrique. Il avait
effectivement la barbe fort rousse, de couleur naturelle, mais aussi de henné,
car l’homme avait cinquante ans passés, paraissait plus vieux encore et ne
semblait tenir debout que par la rage de vaincre. Il boitait jusqu’au sol et sa
main gauche était en argent. Il avait perdu son bras à Bougie même, lors d’un
siège précédent, qui s’était terminé par un désastre. Cette fois, le combat
semblait mieux engagé. Il avait déjà occupé la vieille citadelle de la ville et
entreprenait d’investir une autre forteresse, proche de la plage, où les
Castillans résistaient.
    Le jour de mon arrivée, le combat connaissait un
répit. Devant la tente de commandement se tenaient des gardes, dont l’un était
originaire de Malaga. C’est lui qui courut appeler Haroun, avec une déférence
qui me fit comprendre que le Furet était un lieutenant de Barberousse. De fait,
il arriva entouré de deux Turcs qu’il congédia d’un geste assuré avant de se
jeter sur moi. Nous restâmes un long moment accolés, échangeant des tapes
vigoureuses qui disaient toute l’amitié, toute la surprise, et la douleur de l’éloignement.
Haroun me fit d’abord entrer dans la tente, me présenta à Arouj comme un poète
et un diplomate de renom, ce dont je ne compris que plus tard la raison. Le
corsaire parlait comme un roi, en phrases courtes et définitives dont le sens
apparent était banal et le sens caché difficile à cerner. Ainsi évoqua-t-il les
victoires de Sélim l’Ottoman et l’arrogance croissante des Castillans,
observant tristement que c’est en Orient que le soleil de l’islam se lève et en
Occident qu’il se couche.
    Quand nous eûmes pris congé, Haroun me conduisit à
sa propre tente, moins vaste et moins ornementée, mais qui pouvait tout de même
accueillir une dizaine de personnes et qui était fort bien approvisionnée en
boissons et en fruits. Je n’eus pas besoin de poser mes questions pour que le
Furet commençât à y répondre.
    « Je n’ai tué que des meurtriers, je n’ai
dépouillé que des voleurs. Pas un instant je n’ai cessé de craindre Dieu. J’ai
seulement cessé de craindre les riches et les puissants. Ici, je me bats contre
les infidèles, que nos princes courtisent, je défends les villes qu’ils
abandonnent. Mes compagnons sont des bannis, des proscrits, des malfaiteurs de
toutes les contrées. Mais n’est-ce pas des entrailles du cachalot que sort l’ambre
gris ? »
    Il avait débité ces mots à la file, comme s’il
récitait la Fatiha. Puis, sur un tout autre ton :
    « Ta sœur a été admirable. Une lionne de l’Atlas.
Elle se trouve dans ma maison, à Jijil, à soixante milles d’ici, avec nos trois
garçons dont le plus jeune s’appelle Hassan. »
    Je ne

Weitere Kostenlose Bücher