Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
Vom Netzwerk:
mugissement de buffle. Ma
Circassienne loqueta la porte et s’y adossa.
    Sa chevelure défaite tomba en premier, puis sa
robe. Autour de son cou dénudé s’étalait un collier de rubis, la pierre
centrale pendulant fièrement entre les seins ; autour de la taille nue,
une ceinture fine en fils d’or tressés. Jamais mes yeux n’avaient contemplé
femme aussi richement dévêtue. Elle vint me chuchoter à l’oreille :
    « D’autres femmes auraient bradé en premier
les bijoux intimes. Moi, je les garde. Les maisons et les meubles se
vendent ; mais pas le corps, ni ses ornements. »
    Je la serrai contre moi.
    « Je suis résigné depuis ce matin à aller de
surprise en surprise. Les pyramides, ton baiser, ce village, l’annonce de notre
mariage, et puis cette chambre, cette nuit, tes bijoux, ton corps, tes
lèvres… »
    Je l’embrassai éperdument. Ce qui la dispensa de m’avouer
qu’en fait de surprises je n’avais encore entendu que « Bismillah… »,
et que le reste de la prière allait suivre.
    Mais cela n’arriva pas avant la fin de la nuit,
qui fut délicieusement interminable. Nous étions étendus côte à côte, si
proches que mes lèvres frémissaient à ses chuchotements. Ses jambes pliées
formaient pyramide ; ses genoux en étaient le sommet, collés l’un à l’autre.
Je les touchai, ils se séparèrent, comme s’ils venaient de se disputer.
    Ma Circassienne ! Mes mains sculptent encore
parfois les formes de son corps. Et mes lèvres n’ont rien oublié.
     
    *
     
    À mon réveil, Nour était debout, adossée à la
porte, comme au début de la nuit. Mais ses bras étaient lourds et ses yeux
riaient faux.
    « Voici mon fils Bayazid que je dissimule
comme s’il était un enfant de la honte ! »
    Elle s’avança et vint le déposer, comme une
offrande, sur mes paumes résignées.

L’ANNÉE DES INSOUMIS

921 de l’hégire (15 février
1515 – 4 février 1516)
     
    Ce fils n’était pas de mon sang, mais il était
apparu pour bénir ou punir l’œuvre de ma chair. Il était donc mien, et c’est le
courage d’Abraham qu’il m’aurait fallu pour l’immoler au nom de la Foi. N’est-ce
pas dans la lame du couteau brandi par l’Ami de Dieu au-dessus d’un bûcher que
se retrouvent les religions révélées ? Ce crime sacré, que je glorifie
chaque année à la fête del’ Adha, je n’ai pas osé le commettre.
Pourtant, cette année-là, le devoir me le commandait sans détour, puisque,
devant mes yeux, un empire musulman était en train de naître, et que cet enfant
le menaçait.
    « Un jour, Bayazid, fils d’Aladin, fera
trembler le trône des Ottomans. Lui seul, dernier survivant des princes de sa
lignée, pourra soulever les tribus d’Anatolie. Lui seul pourra réunir autour de
lui les mamelouks circassiens et les Séfévides de Perse pour abattre le Grand
Turc. Lui seul. À moins que les agents du sultan Sélim ne n’étranglent. »
    Nour était penchée au-dessus du berceau de son
fils, sans savoir quelle torture m’infligeaient ses propos. Cet empire dont
elle prédisait ainsi la destruction, mes prières l’invoquaient avant même que
je ne sache prier, puisque c’est de lui que j’attendais depuis toujours la
délivrance de Grenade.
    Or il était là, en train de se forger sous mes
yeux. Il avait déjà conquis Constantinople, la Serbie et l’Anatolie ; il
se préparait à envahir la Syrie, l’Irak, l’Arabie Déserte, l’Arabie Heureuse, l’Arabie
Pétrée ainsi que l’Égypte. Demain, il serait maître de la Berbérie, de l’Andalousie,
de la Sicile peut-être. Tous les musulmans seraient à nouveau réunis, comme au
temps des Omayyades, au sein d’un même califat florissant et redoutable qui
imposerait sa loi aux nations infidèles. Cet empire, rêve de mes rêves, espoir
de mes espoirs, allais-je me mettre à son service ? Allais-je contribuer à
son émergence ? Nullement. J’étais condamné à le combattre ou à le fuir.
Face à Sélim le Conquérant, qui venait d’immoler, sans que la main de Dieu le
retienne, son père, ses frères, avec leur descendance, et qui bientôt
sacrifierait trois de ses propres fils, face à ce glaive de la colère divine,
il y avait un enfant que j’étais déterminé à protéger, à nourrir de mon sein,
jusqu’à ce qu’il devienne homme, émir, fossoyeur d’empire, et qu’il tue à son
tour selon la loi de sa race. De tout cela, je n’avais rien choisi ; la
vie avait choisi pour moi,

Weitere Kostenlose Bücher