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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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espérer en ce
cardinal. »
    Je l’approuvai :
    « La vertu devient morbide si elle n’est
adoucie par quelques écarts, et la foi devient aisément cruelle si elle n’est
atténuée par quelques doutes. »
    Maddalena me toucha légèrement l’épaule, en signe
de confiance, avant de poursuivre son récit :
    « Quand le prélat arriva, nous vînmes toutes
en rang pour lui baiser la main. J’attendis mon tour avec impatience. Mon plan
était prêt. Les doigts du cardinal, ornés de deux bagues, étaient tendus
princièrement vers moi. Je les pris, les serrai un peu plus fort qu’il n’aurait
fallu et les retins deux secondes de trop. C’était suffisant pour attirer son
attention. Je relevai la tête, pour qu’il pût contempler mon visage. « J’ai
besoin de me confesser à vous. » Je l’avais dit à voix haute, pour que la
requête fût officielle, entendue de toute la suite du cardinal ainsi que de la
supérieure. Celle-ci prit un ton doucereux : « Écartez-vous, ma
petite, vous importunez Son Éminence, et vos sœurs attendent. » Il y eut
un instant de flottement. Allais-je me retrouver pour toujours dans le cachot
de la vengeance ? Allais-je pouvoir m’agripper aux mains d’un
sauveteur ? Ma respiration était suspendue, mes yeux étaient implorants. Puis
la sentence tomba : « Attendez-moi ici ! Je vais vous
confesser ! » Mes larmes coulèrent, trahissant mon bonheur. Mais,
lorsque je m’agenouillai au confessionnal, ma voix était à nouveau ferme pour
prononcer sans erreur les mots que j’avais cent fois répétés. Le cardinal
écouta en silence mon long cri de désespoir, se contentant de hocher la tête
pour m’encourager à poursuivre. « Ma fille, me dit-il quand je me tus, je
ne crois pas que la vie de couvent soit faite pour vous. » J’étais
libre. »
    D’y penser, ses larmes coulaient à nouveau. Je
posai ma main sur la sienne, appuyai avec affection, puis la retirai quand elle
reprit le fil de son histoire.
    « Le cardinal me ramena avec lui à Rome. C’était
il y a un mois. L’abbesse ne voulait pas me laisser partir, mais mon protecteur
ne fit aucun cas de ses objections. Pour se venger, elle monta toute une cabale
contre lui, intervint auprès des cardinaux espagnols qui, à leur tour, s’adressèrent
au pape. Les pires accusations ont été proférées, contre Son Éminence et
moi-même… »
    Elle s’interrompit, car je m’étais levé d’un bond.
Je ne voulais pas entendre le premier mot de ces calomnies, même de la bouche
exquise de Maddalena. Seul importait désormais l’amour qui venait de naître
dans mon cœur et dans celui de la conversa. Quand elle se leva pour me
dire adieu, il y avait une inquiétude dans ses yeux. Mon départ précipité l’avait
quelque peu effarouchée. Il lui fallut surmonter sa timidité pour me
dire :
    « Nous reverrons-nous encore
quelquefois ?
    — Jusqu’à la fin de ma vie. »
    Mes lèvres frôlèrent les siennes. Ses yeux étaient
à nouveau effarouchés, mais par le bonheur et par le vertige de l’espérance.

L’ANNÉE D’ADRIEN

928 de l’hégire (1 er  décembre
1521 – 19 novembre 1522)
     
    Le pape Léon mourut d’un ulcère au tout premier
jour de cette année-là, et je crus pour un temps qu’il me faudrait déjà quitter
Rome, devenue soudain inhospitalière sans ce parrain attentif, sans ce généreux
protecteur, puissent les Cieux lui prodiguer les richesses sans compter, à l’image
de ce qu’il a toujours fait lui-même !
    Je ne fus pas seul à envisager le départ : le
cardinal Jules s’exila à Florence, Guicciardini se réfugia à Modène et, tout
autour de moi, des centaines d’écrivains, de peintres, de sculpteurs, de
marchands, parmi les plus renommés, se mirent à déserter la ville comme si elle
était frappée par la peste. De fait, il y eut une courte épidémie, mais la
vraie peste était autre. Son nom était déclamé à voix haute de Borgo à la place
Navona, avec un qualificatif invariable : Adrien le barbare.
    Les cardinaux l’avaient élu comme pour faire
pénitence. Trop d’accusations avaient été portées contre la papauté au cours du
dernier pontificat, les Allemands adhéraient par provinces entières aux thèses
de Luther, et Léon X en était tenu pour responsable. Aussi voulait-on
changer la face de l’Église : au Florentin, au Médicis, devenu pape à
trente-huit ans et qui avait transmis à Rome son goût du luxe et de la

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