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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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circonstances.
     
    *
     
    Je me trouvais un jour chez le cardinal Jules, peu
avant son départ pour la Toscane, lorsqu’un jeune peintre se présenta à lui. Il
s’appelait Manolo, je crois, et venait de Naples, où il avait acquis quelque
notoriété. Il espérait vendre ses tableaux avant de rentrer dans sa ville. Il n’était
pas rare qu’un artiste vienne de loin pour voir le Médicis, toute personne qui
frappait à sa porte étant assurée de ne pas repartir les mains vides. Ce Napolitain
déroula donc quelques toiles, de qualité inégale, me sembla-t-il. Je les
regardais d’un œil distrait, quand soudain je sursautai. Un portrait venait de
passer devant moi, hâtivement rangé par Manolo avec un geste d’agacement.
    « Puis-je revoir ce tableau ?
demandai-je.
    — Certainement, mais il n’est pas à vendre.
Je l’ai emporté par erreur. Il s’agit d’une commande qu’un marchand m’a faite,
et je me dois de la lui livrer. »
    Ces rondeurs, ce teint mat, cette barbe, ce
sourire d’éternelle satisfaction… Aucune erreur possible ! Je me devais
tout de même de demander :
    « Comment s’appelle cet homme ?
    — Messire Abbado. C’est l’un des plus riches
armateurs de Naples. »
    Abbad le Soussi ! Je murmurai une imprécation
bienveillante.
    « Le verras-tu bientôt ?
    — Il est souvent en voyage de mai à
septembre, mais il passe l’hiver dans sa villa, du côté de Santa Lucia. »
    Prenant une feuille, je griffonnai d’une main
fébrile un message à l’intention de mon compagnon. Et, deux mois plus tard,
Abbad arrivait chez moi, en calèche, suivi de trois serviteurs. S’il avait été
mon propre frère, je n’aurais pas été aussi heureux de le serrer contre
moi !
    « Je t’ai laissé enchaîné au fond d’une
cale ; je te retrouve prospère et rutilant.
    —  Alhamdoulillah ! Alhamdoulillah  !
Dieu a été généreux pour moi !
    — Pas plus que tu ne le mérites ! Je
suis témoin que, même aux pires moments, tu n’as jamais eu un mot contre la
Providence. »
    J’étais sincère. Je n’en gardais pas moins intacte
toute ma curiosité.
    « Comment as-tu réussi à t’en sortir aussi
vite ?
    — Grâce à ma mère, Dieu bénisse le sol qui la
recouvre ! Elle me répétait toujours cette phrase, que j’ai fini par
retenir : un homme n’est jamais démuni tant qu’il a une langue dans sa
bouche. Il est vrai que j’ai été vendu comme esclave, chaînes aux mains et
boulets aux pieds, mais ma langue n’était pas enchaînée. Un négociant m’acheta,
que je servis loyalement, lui prodiguant conseil sur conseil, le faisant
profiter de mon expérience en Méditerranée. Il gagna ainsi tant d’argent qu’au
bout de la première année il m’affranchit et m’associa à son commerce. »
    Comme je paraissais étonné que les choses aient
été si simples, il eut un haussement d’épaules.
    « Quand on a pu devenir riche dans un pays,
on le redevient aisément partout ailleurs. Notre affaire est aujourd’hui l’une
des plus florissantes de Naples. Alhamdoulillah ! Nous avons un
commis dans chaque port et une dizaine de comptoirs que je visite
régulièrement.
    — T’arrive-t-il de faire un détour par
Tunis ?
    — J’y vais en été. Je passerai voir les
tiens. Dois-je leur dire que tu te plais ici ? »
    Je dus reconnaître que, sans avoir fait fortune,
je n’avais nullement subi les rigueurs de la captivité. Et que Rome m’avait
fait goûter à deux vrais bonheurs : celui d’une cité antique qui renaît,
ivre de beauté ; celui d’un fils qui dormait sur les genoux de la femme
que j’aimais.
    Mon ami s’en montra satisfait. Il ajouta
cependant :
    « Si, un jour, cette ville cessait de te
procurer du bonheur, sache que ma maison t’est ouverte, à toi et ta famille, que
mes bateaux te transporteront aussi loin que tu le désires. »
    Je me défendis de vouloir quitter Rome, promettant
à Abbad de l’y accueillir à son retour de Tunis et de lui offrir un somptueux
festin.
     
    *
     
    Je ne voulais pas me lamenter devant mon ami,
mais, pour moi, les choses commençaient à se gâter : Adrien avait décidé
de lancer une campagne contre le port de la barbe. « Elle ne sied qu’aux
soldats », avait-il décrété, ordonnant à tous les religieux de se raser.
Je n’étais pas directement concerné, mais, du fait de ma fréquentation assidue
du palais du Vatican, m’obstiner à conserver cet ornement apparaissait

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