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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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proposition
qui m’était faite. Pour dire les choses telles que je les ai pensées, je n’avais
nulle envie de me retrouver l’époux tardif de quelque adolescente dont la
grossesse avancée ferait jaser toute la ville de Rome. Cependant, il m’était
difficile de dire « non », en un seul mot, au pape et à son cousin.
Je formulai donc ma réponse en termes suffisamment tortueux pour que mon
sentiment y transparût :
    « Je m’en remets à Sa Sainteté et à Son
Éminence, qui savent mieux que moi ce qui est bon pour mon corps et pour mon
âme. »
    Le rire du pape me fit sursauter. Lâchant son
courrier, il s’était retourné tout entier vers nous.
    « Léon ira voir cette fille aujourd’hui même,
après la messe de requiem. »
     
    *
     
    Ce jour-là, en effet, devait être commémoré, dans
la chapelle Sixtine, le premier anniversaire de la mort de Raphaël d’Urbino,
que Léon X chérissait plus que tous ses autres protégés. Il l’évoquait
souvent avec une émotion non feinte, me faisant regretter de l’avoir si mal
connu.
    Du fait de ma longue réclusion, je n’avais
rencontré Raphaël que deux fois : la première, rapide, dans un couloir du
Vatican, la seconde à mon baptême. Après la cérémonie, il était venu, comme
tant d’autres, présenter ses congratulations au pape, qui l’avait installé à
mes côtés. Une question lui brûlait les lèvres :
    « Est-il vrai que dans votre pays il n’y a ni
peintres ni sculpteurs ?
    — Il arrive que des gens peignent ou sculptent,
mais toute représentation figurée est condamnée. On la considère comme un défi
au Créateur.
    — C’est trop d’honneur qui est fait à notre
art que de penser qu’il peut rivaliser avec la Création. »
    Il avait eu une moue étonnée et quelque peu
condescendante. Je m’étais senti contraint de répliquer :
    « N’est-il pas vrai que Michel-Ange, après
avoir sculpté Moïse, lui a ordonné de marcher ou de parler ? »
    Raphaël avait souri, malicieux.
    « On l’a raconté.
    — C’est cela que les gens de mon pays
cherchent à éviter. Qu’un homme ambitionne de se substituer au Créateur.
    — Et le prince qui décide de la vie et de la
mort, ne se substitue-t-il pas à Dieu d’une manière bien plus impie que le
peintre ? Et le maître qui possède des esclaves, qui les vend et les
achète ? »
    La voix du peintre s’était élevée d’un ton. Je m’efforçai
de le calmer :
    « Un jour, j’aimerais visiter votre atelier.
    — Si je décidais de faire votre portrait,
serait-ce une impiété ?
    — Nullement. Pour moi, ce serait comme si le
plus éloquent de nos poètes écrivait mon éloge. »
    Je n’avais pas trouvé meilleure comparaison. Il s’en
contenta.
    « Fort bien. Venez chez moi, quand vous le
voudrez. »
    Je m’étais promis de le faire, mais la mort avait
été la plus rapide. De Raphaël, il ne m’est resté que quelques mots, une moue,
un sourire, une promesse. Mon devoir était d’y songer en cette journée du
souvenir. Mais, bien vite, dès avant la fin de la cérémonie, c’est vers
Maddalena qu’allèrent mes pensées.
    Je tentais de l’imaginer, ses cheveux, sa voix, sa
taille ; je me demandais en quelle langue je lui parlerais, par quels mots
je commencerais. J’essayais également de deviner ce que Léon X et son
cousin avaient pu se dire avant de me convoquer. Le pape, sans doute, avait
appris que le cardinal venait de joindre à sa nombreuse suite une femme jeune
et belle et, redoutant un nouvel esclandre, lui avait ordonné de s’en défaire,
rapidement et dignement : ainsi, nul ne pourrait prétendre que le cardinal
Jules avait des visées coupables sur cette fille ; son seul souci était de
trouver une femme pour son cousin Léon l’Africain !
    Un prêtre de ma connaissance, que je vis en
sortant de la chapelle, me fournit d’autres éléments qui vinrent conforter mes
suppositions : Maddalena avait longtemps vécu dans un couvent. Au cours d’une
visite, le cardinal l’avait remarquée et, au moment de s’en retourner en fin de
journée, l’avait tout bonnement ramenée dans ses bagages. Le procédé avait
choqué et la plainte était arrivée aux oreilles de Léon X, qui avait tout
de suite réagi en chef de l’Église et en chef des Médicis.
    Je croyais posséder ainsi l’essentiel de la
vérité, mais je n’en détenais qu’une mince pelure.
     
    *
     
    « Est-il vrai que tu es, comme moi, de
Grenade ?

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