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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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beauté,
on fit succéder un austère Hollandais de soixante-trois ans, « un saint
homme vertueux, ennuyeux, chauve et ladre ». La description est de
Maddalena, qui n’eut à aucun moment la moindre indulgence pour le nouveau chef
de la chrétienté.
    « Il me rappelle trop l’abbesse qui m’a
persécutée. Il a ce même regard étroit, cette même volonté de faire de la vie,
la sienne et celle des autres, un perpétuel carême. »
    Mon opinion avait été, au début, moins tranchée.
Si j’ai toujours été fidèle envers mon bienfaiteur, certains aspects de la vie
romaine heurtaient ma foi intime. Qu’un pape affirmât, comme le faisait
Adrien : « J’ai le goût de la pauvreté ! » n’était pas pour
me déplaire, et l’histoire dont se gaussaient les courtisans dès la première
semaine de son règne ne m’avait pas fait rire aux éclats. En entrant dans la
chapelle Sixtine, le nouveau pontife se serait écrié en effet, au spectacle de
la voûte peinte par Michel-Ange : « Ce n’est pas une église, ici,
mais une étuve bourrée de nudités ! » ajoutant qu’il était décidé à
couvrir de chaux ces représentations impies. Par Dieu, j’aurais pu pousser le
même cri ! Ma fréquentation des Romains m’avait ôté certaines préventions
à l’égard de la peinture, du nu, et de la sculpture. Mais pas dans les lieux du
culte. Tels étaient mes sentiments à l’avènement d’Adrien VI. Il est vrai
que je ne savais pas encore que cet ancien précepteur de l’empereur Charles
Quint avait été, avant sa venue à Rome, inquisiteur d’Aragon et de Navarre. En
quelques semaines, il fit de moi un Médicis à part entière, sinon par la
noblesse des origines, du moins par la noblesse des aspirations.
    Ce pape commença par supprimer toutes les pensions
accordées par Léon X, y compris la mienne. Il suspendit également toute
commande de peintures, de sculptures, de livres, ainsi que toute construction.
Il fulminait, à chaque sermon, contre l’art, celui des Anciens comme celui des
contemporains, contre les fêtes, les plaisirs, les dépenses. Du jour au
lendemain, Rome ne fut plus qu’une ville morte, où rien ne se créait, rien ne
se bâtissait, rien ne se vendait. Pour justifier sa décision, le nouveau pape
invoquait les dettes accumulées par son prédécesseur, jugeant que l’argent
avait été gaspillé. « Avec les sommes englouties dans la reconstruction de
Saint-Pierre, disaient les familiers d’Adrien, on aurait pu armer une croisade
contre les Turcs ; avec les sommes versées à Raphaël, on aurait pu équiper
un régiment de cavalerie. »
    Depuis mon arrivée à Rome, j’avais souvent entendu
parler de croisades, même de la bouche de Léon X. Mais c’était, à l’évidence,
par une sorte de rituel sans lendemain, bien semblable à celui de certains
princes musulmans qui parlent de Djihad pour embarrasser un adversaire
ou pour calmer quelque faux dévot. Il en était tout autrement avec Adrien, Dieu
le maudisse ainsi que tous les zélateurs ! Il croyait fermement qu’en
mobilisant la chrétienté contre l’islam il mettrait fin au schisme de Luther et
réconcilierait l’empereur Charles avec le roi de France.
    Suppression de ma pension et appel à l’égorgement
universel : il y avait là, assurément, de quoi m’ôter toute envie d’acclamer
ce pape. Et de quoi m’inciter à quitter Rome au plus vite pour Florence, où le
cardinal Jules m’encourageait à le suivre.
    Je l’aurais sans doute rejoint si Maddalena n’avait
été enceinte. J’avais loué, dans le quartier du Ponte, une maison à trois
étages. Au dernier une cuisine, au deuxième une salle de séjour avec ma table
de travail, au premier une grande chambre qui s’ouvrait sur un potager. C’est
dans cette pièce que naquit, un soir de juillet, mon premier fils, que je
prénommai Giuseppe, c’est-à-dire Youssef, comme le père du Messie, comme le
fils de Jacob, comme le sultan Saladin. Mon émerveillement était sans bornes.
Maddalena me moquait quelque peu, mais son visage boursouflé rayonnait de
bonheur. Je restais des heures à caresser l’enfant et sa mère, à les contempler
dans leurs gestes quotidiens, surtout l’allaitement, dont je ne cessais de m’émouvoir.
Aussi n’avais-je nulle envie de les entraîner sur les chemins pénibles de l’exil.
Ni vers Florence, ni même vers Tunis, comme il me fut suggéré cette année-là,
en de curieuses

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