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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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sans doute celle d’un écrivain public. Mais les
mots étaient de Nour :
     
    S’il ne s’agissait que de mon bonheur, je t’aurais
attendu de longues années, dussé-je voir ma chevelure s’argenter dans la
solitude des nuits. Mais je ne vis que pour mon fils, pour son destin qui s’accomplira
un jour, si Dieu l’agrée. Nous t’appellerons alors à nos côtés pour que tu
partages les honneurs comme tu as partagé les périls. D’ici là, je serai en
Perse, où, faute d’amis, Bayazid aura du moins pour lui les ennemis de ceux qui
le traquent.
    Je te laisse Hayat. J’ai porté ta fille comme
tu as porté mon secret, et il est temps que chacun récupère ce qui lui revient.
Certains diront que je suis une mère indigne, mais toi tu sais que c’est pour
son bien que je l’abandonne, afin de lui éviter les dangers qui s’attachent à
mes pas et à ceux de son frère. Je la laisse comme un cadeau pour toi, lorsque
tu reviendras : en grandissant, elle me ressemblera, et elle te rappellera
à chaque instant le souvenir d’une princesse blonde que tu as aimée et qui t’a
aimé. Et qui t’aimera toujours au fond de son nouvel exil.
    Que je rencontre la mort ou la gloire, ne
laisse pas ternir mon image dans ton cœur !
     
    À la première larme qu’il avait vue couler, Abbad
s’était accoudé à la fenêtre, feignant d’être absorbé par quelque spectacle
dans le jardin. Négligeant les sièges vides qui m’entouraient, je me laissai
glisser à terre, les yeux embrumés. Comme si Nour était devant moi, je lui
adressai un murmure rageur :
    « À quoi bon rêver d’un palais quand on peut
trouver le bonheur dans une masure au pied des pyramides ! »
    Au bout de quelques minutes, Abbad vint s’asseoir
à mes côtés.
    « Ta mère et tes filles vont bien. Haroun
leur envoie chaque mois argent et vivres. »
    Deux soupirs plus tard, je lui tendis la lettre.
Il fit un geste pour la repousser, mais j’insistai. Sans trop réfléchir, je
tenais à ce qu’il la lise. Peut-être voulais-je qu’il s’abstienne de condamner
Nour. Peut-être voulais-je, par amour-propre, éviter qu’il ne me regarde avec
compassion comme si j’étais un vulgaire mari délaissé par une épouse fatiguée d’attendre.
Sans doute aussi avais-je besoin de partager avec un ami un secret que
désormais je porterais seul.
    Je m’entendis ainsi raconter, dans le détail, l’histoire
de ma Circassienne, en commençant par la rencontre fortuite chez un marchand de
Khan el-Khalili.
    « Je comprends maintenant ta frayeur lorsque
l’officier turc a pris Bayazid dans ses bras au port d’Alexandrie. »
    Je ris. Abbad poursuivit, tout content d’avoir pu
me distraire :
    « Je ne m’expliquais pas comment un Grenadin
pouvait craindre à ce point les Ottomans, les seuls qui promettent de lui
rendre un jour sa ville.
    — Maddalena non plus ne parvient pas à
comprendre. Elle voudrait que tous les Andalous, juifs ou musulmans, s’enthousiasment
comme elle chaque fois que parvient la nouvelle d’une victoire ottomane. Et
elle s’étonne que je demeure si froid.
    — Vas-tu éclairer sa lanterne
maintenant ? »
    Abbad avait parlé à mi-voix. Je répondis sur le
même ton :
    « Je lui dirai tout, à petites doses. Je ne
pouvais lui révéler auparavant l’existence de Nour. »
    Je me tournai vers mon ami. Ma voix se fit encore
plus faible et songeuse :
    « Remarques-tu à quel point nous avons changé
depuis notre arrivée dans ce pays ? À Fès, je n’aurais pas parlé ainsi de
mes femmes, même à l’ami le plus proche. Si je l’avais fait, il aurait rougi
jusqu’au sommet de son turban. »
    Abbad m’approuva en riant.
    « J’utilisais moi-même mille et une formules
d’excuses pour demander à mon voisin comment allait son épouse, et, avant de me
répondre, il s’assurait que personne ne nous entendait de peur que son honneur
n’en souffrît. »
    Après un long rire et quelques instants de
silence, mon compagnon commença une phrase puis s’interrompit, hésitant et
embarrassé.
    « Qu’allais-tu dire ?
    — Sans doute n’est-ce pas encore le moment.
    — Je t’ai livré trop de secrets pour que tu
me caches ainsi la moitié, de ce que tu penses ! »
    Il se résigna.
    « J’allais dire que, désormais, tu es libre d’aimer
les Ottomans puisque Bayazid n’est plus ton fils, puisque ta femme n’est plus
une Circassienne, puisqu’à Rome ton protecteur a cédé son siège à

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