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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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transmit la parole au diplomate.
« Tu t’es souvent demandé, Léon, quelle était la véritable raison de ton abduction
à Rome, pourquoi nous avions décidé un jour de faire enlever par Pietro
Bovadiglia un lettré maure sur les côtes de Berbérie ? Il y avait là un
dessein que le défunt pape Léon n’a jamais trouvé l’occasion de te révéler. L’heure
en est venue aujourd’hui. »
    Guicciardini se tut et Clément enchaîna, comme s’ils
récitaient le même texte :
    « Observons ce monde où nous vivons. À l’est,
un empire redoutable, animé par une foi qui n’est pas la nôtre, un empire bâti
sur l’ordre et la discipline aveugle, habile à fondre les canons et à armer les
flottes. Ses troupes avancent vers le centre de l’Europe. Buda et Pest sont
menacées, et Vienne le sera avant longtemps. À l’ouest, un autre empire,
chrétien mais non moins redoutable, puisqu’il s’étend déjà du Nouveau Monde à
Naples et qu’il rêve de domination universelle. Il rêve surtout de soumettre
Rome à sa volonté. Sur ses terres espagnoles fleurit l’Inquisition, sur ses
terres allemandes fleurit l’hérésie de Luther. »
    Le diplomate précisa, encouragé par les hochements
approbateurs du pape :
    « D’un côté Soliman, sultan et calife de l’islam,
jeune, ambitieux, au pouvoir illimité, mais soucieux de faire oublier les
crimes de son père et d’apparaître comme un homme de bien. De l’autre, Charles,
roi d’Espagne, encore plus jeune et non moins ambitieux, qui s’est fait élire à
prix d’or au trône du Saint Empire. Face à ces deux hommes, les plus puissants
du monde, il y a l’État pontifical, croix géante et sabre nain. » Il fit
une courte pause.
    « Certes, le Saint-Siège n’est pas le seul à
redouter cette conjonction. Il y a le roi François, qui se démène pour éviter
que son royaume de France ne soit dépecé. Il y a aussi Henry d’Angleterre, tout
dévoué à Sa Sainteté mais trop éloigné pour être d’un quelconque
secours. »
    Je ne voyais toujours pas en quoi mon humble
personne pouvait être utile dans ce concert de couronnés. Mais j’évitai d’interrompre
le Florentin.
    « Cette situation délicate, à laquelle le
Saint-Père Léon a fait allusion devant toi, était l’objet de fréquentes discussions
avec le cardinal Jules et moi-même. Aujourd’hui comme hier, nous sommes
persuadés qu’il faut agir dans de nombreuses directions pour écarter les
dangers. Il faut, avant tout, se réconcilier avec François, ce qui n’est pas
aisé. Depuis trente ans, les rois de France cherchent à conquérir l’Italie. On
les tient à juste titre pour responsables des malheurs qui affligent la
péninsule, on accuse leurs troupes de charrier avec elles épidémies et
dévastation. Il faut aussi convaincre Venise, Milan et Florence d’oublier leurs
querelles pour faire front contre les Impériaux. »
    Il prit une voix plus feutrée et se pencha en
avant, comme il le faisait à chaque fois qu’il voulait faire une
confidence :
    « Nous avons également estimé qu’il fallait
entamer des pourparlers avec les Ottomans. De quelle manière ? Nous l’ignorons.
Nous ne savons pas davantage ce que nous pourrions obtenir. Ralentir le
déferlement des janissaires sur les terres chrétiennes d’Europe centrale ?
Sans doute pas. Rétablir la paix en Méditerranée ? Mettre un terme aux
déprédations des pirates ? »
    Il répondit à ses propres questions par une moue
dubitative. Clément prit le relais :
    « Ce qui est certain, c’est qu’il est temps
de bâtir un pont entre Rome et Constantinople. Mais je ne suis pas sultan. Si
je m’avisais d’aller trop vite, je serais assailli par mille critiques d’Espagne
et d’Allemagne, par mes propres collègues. » Il sourit de son lapsus.
    « Je veux dire par les cardinaux. Il faut y
aller très prudemment, attendre les opportunités, voir comment agissent les
Français, les Vénitiens et les autres puissances chrétiennes. Vous deux ferez
équipe. Léon connaît maintenant le turc, en plus de l’arabe ; il connaît
surtout les Ottomans et leur manière de penser et d’agir ; il a même été
en ambassade à Constantinople ; Francesco sait tout de Notre politique, et
peut négocier en Notre nom. »
    Il ajouta, comme s’il parlait à lui-même :
    « J’aurais seulement souhaité que l’un des
émissaires soit un prêtre… »
    Puis, plus haut, un tantinet

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