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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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m’envoyait-il Guicciardini en
personne ? Le visage fermé du Florentin m’interdit de l’interroger. Je
regardai vers le ciel. Il devait être six ou sept heures du matin, mais de quel
jour ? Et de quel mois ? Je le demandai à un garde pendant que nous
traversions le corridor en direction du Vatican. Ce fut Guicciardini qui
répondit, le plus sèchement possible :
    « Nous sommes le vendredi 20 novembre
1523. »
    Il venait d’atteindre une petite porte. Il frappa
et entra, me faisant signe de le suivre. Il y avait pour tout mobilier trois
fauteuils rouges et vides. Il s’assit, sans m’inviter à faire de même.
    Je ne m’expliquais pas son attitude. Lui qui avait
été un ami si proche, un confident, lui qui, je le savais, appréciait tant ma
compagnie, qui avait échangé avec moi mots d’esprit et bourrades… Brusquement,
il se leva. « Saint-Père, voici le prisonnier ! » Le pape était
entré sans bruit par la petite porte derrière moi. Je me retournai pour le
voir.
    « Juste Ciel ! Juste Ciel ! Juste
Ciel ! »
    J’étais incapable d’articuler d’autres mots. Je
tombai à genoux et, au lieu de baiser la main du souverain pontife, je la pris
contre moi, la pressai sur mon front, sur mon visage baigné de larmes, sur mes
lèvres tremblantes.
    Il se dégagea sans brusquerie :
    « Je dois aller dire la messe. Je reviendrai
ici dans une heure. »
    Me laissant à terre, il sortit. Guicciardini
éclata de rire. Je me levai et avançai vers lui, l’air menaçant.
    « Dois-je t’embrasser ou te rouer de
coups ? »
    Il rit de plus belle. Je m’affalai sur un fauteuil
sans qu’il m’y eût invité.
    « Dis-moi, Francesco, ai-je rêvé ? C’est
bien le cardinal Jules qui vient de passer dans cette pièce, tout habillé de
blanc ? C’est bien sa main que je viens de baiser ?
    — Le cardinal Jules de Médicis n’existe plus.
Il a été élu hier au trône de saint Pierre, et il a choisi de s’appeler
Clément, septième du nom.
    — Juste Ciel ! Juste Ciel ! »
    Mes larmes coulaient sans retenue. Je pus
toutefois balbutier, entre deux sanglots :
    « Et Adrien ?
    — Je n’aurais pas pensé que sa disparition t’affecterait
à ce point ! »
    Je lui assenai sur l’épaule un coup de poing qu’il
ne chercha même pas à esquiver tant il le savait mérité.
    « Le pape Adrien nous a quittés il y a deux
mois déjà. On dit qu’il a été empoisonné. Quand la nouvelle de sa mort s’est
répandue, des inconnus ont suspendu des guirlandes sur la porte de son médecin
pour le remercier d’avoir sauvé Rome. »
    Il murmura une indispensable formule de
réprobation avant de poursuivre :
    « Une bataille s’est alors engagée au
conclave entre le cardinal Farnèse et le cardinal Jules. Le premier semblait
avoir le plus de suffrages, mais, au bout de l’épreuve qu’ils venaient de
traverser, les princes de l’Église avaient envie de retrouver à la tête de
cette ville la générosité d’un Médicis. Après de nombreux tours de scrutin,
notre ami fut élu. Ce fut tout de suite la fête dans les rues. L’une des
premières pensées du souverain pontife a été pour toi, j’en suis témoin. Il
voulait te libérer sans tarder, mais je lui ai demandé la permission de monter
cette mise en scène. Me pardonneras-tu ?
    — Difficilement ! »
    Je le pris contre moi pour une chaleureuse
accolade.
    « Maddalena et Giuseppe n’ont manqué de rien.
Je t’aurais dit d’aller les voir, mais il faut attendre le pape. »
    Le temps que le Florentin me mette au courant de
tout ce qui s’était passé depuis mon internement, Clément VII était de
retour. Il demanda à ne pas être dérangé et vint s’asseoir le plus simplement
du monde sur le fauteuil que nous lui avions réservé.
    « Je croyais que les meilleures facéties de
Rome étaient celles du regretté cardinal Bibbiena. Mais les trouvailles de
messire Guicciardini méritent d’être retenues. »
    Il se redressa légèrement sur son siège, et son
visage devint subitement soucieux. Il me fixa intensément.
    « La nuit dernière, nous avons longuement
parlé, Francesco et moi. Il ne peut me donner beaucoup de conseils en matière
de religion, mais la Providence a ajouté à ma charge celle de diriger un État
et de préserver le trône de Pierre des empiétements des puissances temporelles.
En cela, les conseils de Francesco me sont précieux, ainsi que les vôtres,
Léon. »
    D’un regard, il

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