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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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de
la ville.
    — Bientôt, le monde entier sera couvert de tabacchini et leur réputation ne sera pas pire que celle des épiciers ou
des parfumeurs. J’importe moi-même de Séville des cargaisons entières de tabac
que je vends à Brousse et à Constantinople. »
    J’en pris une bouffée. Maddalena en huma le parfum
mais refusa d’essayer.
    « J’aurais trop peur de m’étrangler avec la
fumée ! »
    Le Soussi lui conseilla de faire chauffer de l’eau
pour boire le tabac en infusion, avec un peu de sucre.
     
    *
     
    Quand Abbad nous quitta ce jour-là, Maddalena
sauta tout de suite à mon cou.
    « Je suis heureuse de partir. Ne nous
attardons plus ici !
    — Sois prête ! Quand mon ami reviendra,
nous prendrons la route tous ensemble. »
    Abbad était allé à Ancône pour affaires,
promettant d’être de retour avant dix jours. Il tint promesse, mais pour être
accueilli par une Maddalena en sanglots.
    J’avais été arrêté la veille, le 21 décembre,
un dimanche, alors que je transportais fort imprudemment un pamphlet qu’un
moine français m’avait glissé dans la poche à la sortie de l’église San
Giovanni dei Fiorentini.
    Coïncidence ou vexation délibérée, en me
conduisant au château Saint-Ange, on m’enferma dans cette même cellule que j’avais
occupée près de deux ans. Mais, à l’époque, je ne risquais rien d’autre que la
captivité, alors que cette fois je pouvais être jugé et condamné à purger ma
peine dans une prison lointaine, ou même sur une galère.
    Je n’en aurais sans doute pas été aussi affecté si
je n’avais formé le dessein de partir. Pourtant, les premiers temps, la
détention fut moins rigoureuse que je ne le redoutais. Je pus même recevoir en
février un cadeau d’Abbad qui me parut somptueux en la circonstance : un
manteau de laine et un gâteau de dattes, accompagnés d’une lettre où il m’annonçait
à mots à peine couverts la prise de Rhodes par Soliman : La mer a porté
les nôtres au sommet du rocher, la terre a frémi à nos cris de triomphe.
    Vu de ma cellule, l’événement m’apparut comme une
revanche personnelle contre Adrien et ses rêves de croisade. Et lorsque, au
cours des mois suivants, ma détention devint de plus en plus sévère, lorsque je
n’eus plus rien à lire, rien pour écrire, ni calame, ni encre, ni papier, ni
même la moindre lampe pour dissiper l’obscurité qui s’installait dès l’après-midi,
alors que je n’avais plus aucun contact avec l’extérieur, que mon gardien
feignait de ne comprendre aucune langue, à l’exception d’un vague dialecte
germanique, je me mis à regarder la lettre d’Abbad comme une relique et à
répéter comme une formule incantatoire les mots concernant la prise de Rhodes.
    Une nuit, je fis un songe. Je vis Soliman avec,
sous son turban, un visage d’enfant, celui de Bayazid. Il dévalait une montagne
pour venir me délivrer, mais, avant qu’il n’ait pu m’atteindre, j’étais
réveillé, toujours dans ma cellule, incapable de retrouver le sommeil pour
rattraper le bout du songe.
    L’obscurité, le froid, l’insomnie, le désespoir,
le silence… Pour ne pas sombrer dans la folie, je repris l’habitude de prier,
cinq fois par jour, le Dieu de mon enfance.
    J’attendais de Constantinople la main qui allait
me libérer. Mais mon délivreur était beaucoup plus proche, puisse le Très-haut
lui prêter Son secours dans la tourmente qui est aujourd’hui son lot !

L’ANNÉE CLÉMENTE

930 de l’hégire (10 novembre
1523 – 28 octobre 1524)
     
    Un tumulte de pas, une foule de voix, puis les
cent bruits secs et froids d’une clé qui tourne et d’une porte qui lentement s’ébroue
sur ses gonds rouillés. Debout près de mon lit, je me frottais les yeux,
guettant les silhouettes qui allaient se découper dans la lumière du dehors.
    Un homme entra. Quand je reconnus Guicciardini, je
fis un pas vers lui, m’apprêtant à lui sauter au cou, mais je m’arrêtai net. Je
reculai même, comme repoussé par une force invisible. Peut-être était-ce sa
face de marbre, ou bien son silence, quelques secondes trop long, ou la
rigidité inhabituelle de son allure. Dans la pénombre, je crus voir sur ses
lèvres une esquisse de sourire, mais, quand il parla, ce fut d’une voix
distante et, me sembla-t-il, exagérément contrite : « Sa Sainteté
désire vous voir. » Devais-je me lamenter ou me réjouir ? Pourquoi
Adrien voulait-il me voir ? Pourquoi

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