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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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soit venu près de moi.
Je le regardai, horrifié.
    « Baisse la voix, je t’en supplie, le maître
va t’entendre. »
    Il me donna sur le dos une tape paternelle.
    « Ne sois pas si craintif ! Quand tu
étais enfant, ne disais-tu pas à voix haute des vérités que les grands
gardaient cachées ? Eh bien, c’est toi qui avais raison à ce moment-là. Il
faut que tu retrouves en toi-même le temps de l’ignorance, car c’était aussi le
temps du courage. »
    Comme pour illustrer ce qu’il venait d’affirmer,
il se leva, avança en boitillant jusqu’au siège élevé du professeur et s’adressa
à lui sans révérence, ce qui fit taire à l’instant le moindre bruit dans la
salle.
    « Je m’appelle Ahmed, fils du chérif Saadi,
descendant de la Maison du Prophète, prière et salut sur lui ! Si l’on me
voit boiter, c’est que j’ai été blessé l’année dernière en combattant les
Portugais qui ont envahi les territoires du Sous. »
    Je ne sais s’il s’apparentait plus que moi au
Messager de Dieu ; quant à son infirmité, il l’avait de naissance, comme
je devais plus tard l’apprendre d’un de ses proches. Deux mensonges donc, mais
qui intimidèrent tous ceux qui étaient là, à commencer par le professeur.
    Ahmed revint à sa place, la tête haute. Dès son
premier jour de collège, il était devenu le plus respecté et le plus admiré des
étudiants. Il ne marchait plus qu’entouré d’une nuée de condisciples soumis qui
riaient à ses rires, tremblaient à ses colères et partageaient toutes ses
inimitiés.
    Lesquelles étaient fort tenaces. Un jour, l’un de
nos maîtres, Fassi de vieille souche, avait osé émettre des doutes sur l’ascendance
que revendiquait le Boiteux. Une opinion qui ne pouvait être prise à la légère,
car ce professeur était le plus célèbre du collège, ayant obtenu depuis peu le
privilège de prononcer le sermon hebdomadaire dans la Grande Mosquée. Sur le
moment, Ahmed ne répondit pas, se contentant de sourire énigmatiquement aux
étudiants qui le questionnaient du regard. Le vendredi suivant, la classe se
déplaça tout entière pour écouter le prédicateur. À peine celui-ci avait-il dit
les premiers mots que le Boiteux fut pris d’un interminable accès de toux. Peu
à peu, d’autres tousseurs prirent le relais, et au bout d’une minute des
milliers de gorges bruissaient et se raclaient à l’unisson, curieuse contagion
qui se prolongea jusqu’à la fin du sermon, si bien que les fidèles revinrent
chez eux sans en avoir compris la moindre phrase. Depuis, ce professeur prit
soin de ne plus jamais parler d’Ahmed ni de sa noble mais douteuse ascendance.
    Moi-même, je n’ai jamais marché dans le sillage du
Boiteux, et c’est sans doute pour cela qu’il me respectait. Nous ne nous
voyions que seuls, parfois chez moi, parfois chez lui, c’est-à-dire dans la médersa même, où des chambres étaient réservées aux étudiants dont la famille ne
demeurait pas à Fès ; les siens habitaient aux confins du royaume de
Marrakech.
    Je dois avouer que, même quand nous étions en
tête-à-tête, certaines de ses attitudes me rebutaient, m’inquiétaient, m’effrayaient
parfois aussi. Mais il lui arrivait également de se montrer généreux et dévoué.
C’est en tout cas ainsi qu’il m’était apparu cette année-là, attentif à mes
moindres mouvements d’abattement, trouvant chaque fois le ton qu’il fallait
pour me remettre en selle.
    De sa présence, ainsi que celle de Haroun, j’avais
grandement besoin, même s’ils paraissaient l’un et l’autre incapables de sauver
Mariam. Seul mon oncle semblait en mesure d’effectuer les démarches qui s’imposaient.
Il rencontrait des hommes de loi, des émirs de l’armée, des dignitaires du
royaume ; les uns se montraient rassurants, d’autres embarrassés, d’autres
encore promettaient une solution avant la fête prochaine. Nous ne lâchions un
espoir que pour nous agripper à un autre, tout aussi vain.
    Jusqu’au moment où Khâli réussit, au bout de mille
intercessions, à approcher le fils aîné du souverain, le prince Mohamed le
Portugais, ainsi surnommé parce qu’il avait été pris à l’âge de sept ans dans
la ville d’Arzilla et emmené au Portugal pour de longues années de captivité.
Il avait maintenant quarante ans, l’âge de mon oncle, et ils restèrent un long
moment ensemble à parler de poésie et à rappeler les malheurs de

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