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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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retenir de craindre que la fatalité dont il était le jouet depuis son adolescence ne lui réservât, une fois rendu, quelque épreuve supplémentaire. Les événements qu’il affrontait depuis Calais ressortissaient à un songe effrayant lors duquel il avait éprouvé et éprouvait encore les sensations les plus corrosives qu’il eût jamais connues.
    — Quoi qu’il advienne, je resterai à Gratot.
    — Et si le roi t’enjoint de le rejoindre à l’ost ?
    Ogier ne répondit pas. Champion du roi de France.
    La belle distinction ! Il lui devait la mort, à Sangatte, de ses deux meilleurs soudoyers, plus une année de réclusion en Angleterre. Contrairement à ce qu’il avait cru lorsque Guillaume de Rechignac et Blanquefort avaient fait de lui un prud’homme, le plaisir suprême consistait moins, lors d’une vie de chevalier, dans l’application des préceptes de l’ordre ancestral que dans l’abandon d’une vocation dont l’objet essentiel se résumait à un seul mot : la guerre. Une fois réinstallé à Gratot, il oublierait le métier des armes. Il saurait reconquérir Blandine et contribuer, même au prix de certaines démissions, au renouveau de leurs amours.
    — J’aurais dû par ma foi désobéir au roi. Trouver une astuce pour rester auprès des miens. Cependant, il me faut te l’avouer, Étienne, je suis parti pour l’ost avec satisfaction.
    Cette fuite – car c’en avait pour lui l’aspect – ne participait-elle pas d’un égoïsme répréhensible ? N’en payait-il pas encore le prix ?
    — Tu n’as cessé, Ogier, d’accomplir ton devoir. Même inutile et meurtrière, la conquête de ta tour de Sangatte demeure une prouesse dont tu peux t’enorgueillir.
    — Le bel exploit en vérité !… Je me suis sacrifié pour la France au détriment de ma famille… J’ai désormais payé ma dîme au roi.
    Ogier entendait pour un autre destin, l’appel de voix impérieuses. Elles n’émanaient pas de ses ancêtres, bien qu’il les eût parfois senti revivre dans son sang. Elles ne tombaient point du Ciel puisque Dieu l’avait déserté. Barbeyrac, circonspect, caressa l’encolure de Bucéphale puis s’avisa de Carbonel qui suivait docile, proche de la jument de Rosamonde. Enfin, il fournit sa réplique :
    — Tu prétends désormais, Argouges, que la servitude du chevalier vaut moins que la condition d’époux et de père accessible à tous. Tu t’apercevras que cette existence est morne et fastidieuse parce que sans incidents, sans périls et sans chevauchées. Pour les hommes que nous sommes, la Chevalerie n’est pas autre chose qu’une maîtresse exigeante que nos épouses, quelles que soient leurs qualités, voire leur lasciveté, sont impuissantes à extraire de notre vie. Si tu quittes la Chevalerie, ce sera pour la réintégrer au galop. Et si le roi te prie de le servir encore, tu diras oui comme on dit…
    Barbeyrac chercha un mot définitif. Ogier suppléa cette soudaine carence.
    —  Amen, dit-il en s’enfonçant sous la voûte d’une porte abandonnée par le guet et dont le grand vantail béait sur la campagne.

IV
    Ils avaient décidé d’éviter les grandes villes. Ils s’engagèrent sur le chemin d’Elbeuf et contournèrent Bernay. De là, ils rallièrent Orbec et Vimoutiers. Renonçant à faire halte à Falaise, ils gagnèrent Thury-Harcourt, Aunay-sur-Odon, Saint-Martin-des-Besaces et Torigny.
    La plupart de ces cités présentaient encore des traces de l’invasion anglaise, deux ans plus tôt. Quant à la peste, il suffisait de voir, extra-muros, les buttes des fosses communes comblées et les excavations prêtes à recevoir des corps pour être édifié sur la permanence du mal. Ogier se sentait incapable d’étouffer son angoisse.
    — Plus nous avançons, plus le pays empunaise la mort et plus mes craintes augmentent !
    Étienne se taisait, rongé de fatigue et d’anxiété.
    Ils cheminaient de l’aube au soir, lentement. Parfois, dans un hameau, ils obtenaient un bout de pain et quelques œufs. Ils couchaient dans les bosquets les plus branchus : des rumeurs nocturnes révélaient des passages suspects. Des cavaliers et des piétons erraient dans la campagne. Il se pouvait qu’ils fussent honnêtes ; ils se pouvait aussi qu’ils ne le fussent pas.
    Ils venaient de laisser Torigny derrière eux et chevauchaient droit sur Coutances, – ignorant résolument Saint-Lô, à leur dextre –, quand, avant le détour d’un

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