L'épopée d'amour
sommes tombés. Mais ce doit être effroyable. Je veux pourtant me rendre compte…
Alors il se mit à suivre la muraille en comptant ses pas à haute voix, afin de rester en communication avec le chevalier.
Il marchait le long de cette bordure horizontale, sorte de sentier qui côtoyait le pied des murs.
Lorsque, ayant fait le tour de cette cage, il rejoignit son fils, il avait compté vingt-quatre pas : huit de chaque côté dans le sens de la longueur et quatre dans le sens de la largeur.
La cage était donc d’assez vastes proportions.
Le routier n’avait rencontré ni banc, ni siège d’aucune sorte, ni aucun des ustensiles qui garnissent un cachot : partout la muraille était unie, avec cette même surface légèrement rugueuse du fer que l’humidité a oxydé.
Alors la pensée de ces épouvantables oubliettes dont ils avaient entendu parler leur vint à tous deux. Ils songèrent qu’on les avait enfermés dans cette cage pour y mourir de faim et de soif.
Ils frémirent.
Un moment, l’effroi pénétra dans ces âmes indomptables.
Mais bientôt, chacun d’eux songeant qu’il ne devait pas augmenter les souffrances de l’autre par sa propre faiblesse, ils raffermirent leurs cœurs, et se prenant par la main :
– Je pense, dit Pardaillan père, que voici la fin de notre carrière.
– Est-ce qu’on sait ? dit froidement le chevalier.
– Soit ! je ne demande pas mieux que de vivre encore, par la mort-dieu. Mais j’enrage de ne pas savoir où je suis, et pourquoi il n’y a rien dans ce cerveau de fer, et pourquoi ce plancher s’en va de tous côtés en pente vers le centre…
– Peut-être s’est-il affaissé par son propre poids…
– Peut-être. Attendons…
– Attendons, monsieur. Qu’avons-nous à redouter au bout du compte ? De mourir par la faim. Je conviens que c’est un supplice assez hideux. Mais nous pourrons y échapper quand il nous sera bien démontré que nous devons mourir.
– Y échapper ! Et comment ?
– En nous tuant, dit simplement le chevalier.
– J’entends bien. Mais comment ? Nous n’avons ni dague, ni épée. Tu n’espères pas que nous allons pouvoir nous tuer en nous frappant la tête contre ces murs de fer ?
– J’ai entendu dire, fit le chevalier de sa voix intrépide, que certains prisonniers sont parvenus par ce moyen à échapper aux horreurs de leur agonie. Le moyen ne serait donc pas à dédaigner. Mais nous avons mieux.
– Et quoi ?
– Nos éperons. Les miens n’ont pas de molette et constituent au pis aller des poignards assez présentables.
– Par Pilate, tu es en veine de bonnes idées, chevalier !
– J’ai des moments comme cela…
Tel fut l’entretien héroïque de ces deux hommes placés dans la situation la plus effroyable.
Séance tenante, le chevalier défit ses éperons qui, selon un usage encore très répandu, consistaient simplement en une tige d’acier assez longue et aiguë. Il en donna un au vieux routier et garda l’autre pour lui…
Chacun d’eux affermit cette arme extraordinaire dans sa main droite en nouant autour du poignet les courroies de l’éperon.
A partir de ce moment, ils ne se dirent plus rien.
Accotés à la muraille de fer, les yeux ouverts, l’oreille tendue, les nerfs surexcités, ils attendirent, cherchant à voir et ne voyant que ténèbres, cherchant à entendre et n’entendant que silence.
Ils étaient comme ces grands et nobles fauves du désert qu’on vient de jeter dans une cage et qui, dans les premières heures de leur stupeur et de leur colère, se tiennent dans un coin, ramassés, la gueule en feu, toutes griffes dehors, prêts à bondir…
Quel espace de temps s’écoula ainsi ?
Des minutes ou des heures ?
Ils n’en eurent pas conscience…
Soudain, le vieux Pardaillan murmura :
– As-tu entendu ?…
_ Oui… ne bougeons pas… Taisons-nous…
Un léger bruit, comme le bruit du déclic d’une machine qui va se mettre en mouvement venait de frapper leurs oreilles.
Ce bruit de déclic venait du plafond.
A ce moment même, une lumière pâle envahit la chambre… la cage de fer… puis cette lumière se renforça comme si une deuxième lampe mystérieuse eût été allumée… puis elle se renforça deux fois encore, en sorte que la clarté était maintenant suffisante pour montrer tous les détails de l’épouvantable oubliette… car les deux malheureux en étaient encore à croire qu’ils se trouvaient dans une oubliette !…
D’abord,
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