L'épopée d'amour
Catherine, reine de par le diable ? C’était pour me prier d’assassiner mon ami, mon hôte, le comte de Marillac !
Une terrible secousse fit bondir l’astrologue.
Pour la première fois depuis qu’il avait placé le cadavre sur sa table de marbre, un sentiment humain fit explosion dans cette âme atrophiée par la ténébreuse et dévorante recherche de l’impossible.
Ses yeux se gonflèrent comme s’il allait enfin pleurer.
Mais il ne pleura pas. Il éclata d’un rire sinistre et grinça :
– Moi ! Moi ! Tuer Déodat ! Fou ! Triple fou !… Ah ! si Déodat n’était mort, si je n’avais enfermé son corps astral dans le cercle magique…
Il n’acheva pas.
Le chevalier l’avait saisi par le bras. Il secoua violemment ce bras.
– Vous dites, gronda-t-il, vous dites que le comte est mort !…
– Mort ! répéta Ruggieri hagard, une lueur de folie dans les yeux. Mort !… heureusement, je tiens les deux corps, le corps matériel et l’astral… jeune homme, c’est pour cela que je suis ici… votre main, je vous prie….
Le chevalier avait croisé les bras, et sa tête s’était inclinée sur sa poitrine.
– Si loyal, murmura-t-il, si brave et si jeune !… Et si bon ! O mon pauvre ami, ta destinée s’est donc accomplie selon les affreux pressentiments qui courbaient ton front !… Mort !… Tué sans doute par cette femme !… Mon père, mon père, vous avez trop raison… il y a trop de loups et de louves de par le monde…
– Pardieu ! fit le vieux routier qui tournait avec curiosité autour de Ruggieri. Quand je te le dis, chevalier ! Des loups, certes, il y en a à foison. Et des hiboux… tiens, comme monsieur que voici… fi ! la vilaine bête… vous sentez la mort, monsieur ; allez-vous-en !… Chevalier, dès que nous serons hors, il faudra fuir aux confins de la terre…
– Monsieur, dit timidement Ruggieri, voulez-vous me donner votre main ?…
Il parlait au chevalier, et sa voix avait une si étrange douceur, elle implorait avec tant de tristesse, que le chevalier, lentement, décroisa les bras et dit :
– Quoi que vous ayez fait, monsieur, je crois que vous pleurez mon pauvre ami… voici ma main.
Ruggieri s’en saisit avidement.
Le vieux routier haussa les épaules et grommela :
– Toujours le même ! Rien ne le corrigera ! Moi, c’est un coup de pied dans le ventre que j’aurais donné à ce lugubre messager… Or çà, que veut-il ?… Et que diable fait-il ?… Est-ce un diseur de bonne aventure ?…
Ruggieri, en effet, avait saisi la main droite que le chevalier, croyant qu’il voulait simplement la serrer par communauté d’affliction, lui avait tendue. Cette main, il l’avait ouverte, et projetant sur la paume la lumière de la lanterne, il l’étudiait, il en inspectait les lignes.
Déjà Ruggieri avait oublié ce sentiment de douleur paternelle qui s’éveillait en lui. Il était tout à sa folie, à l’affreuse pensée qui le guidait. Il hochait la tête. Soudain, il poussa un cri de joie féroce.
– Voici la preuve ! hurla-t-il. Voici votre ligne de vie qui va se perdre dans une ligne que j’ai retrouvée dans la main de Déodat ! Voici, tenez…
Il eût sans doute révélé l’abominable, la monstrueuse espérance de réincarnation, mais le vieux Pardaillan, affolé, exaspéré, presque terrifié par l’accent funèbre de cette voix, avait saisi Ruggieri au col ; il le secoua un instant et, finalement, d’une secousse, l’envoya rouler sur la porte du cachot.
Ruggieri se releva lentement et jeta sur le chevalier un dernier regard si étrange que celui-ci en frissonna ; puis, ouvrant la porte, il disparut en faisant un geste incompréhensible – probablement un geste d’incantation.
– As-tu vu ce regard ? fit le vieux routier tout pâle. Par l’enfer, on eût dit un regard de vampire…
Le chevalier, tout à la violente douleur qu’il éprouvait de la nouvelle qu’il venait d’apprendre, allait et venait dans le cachot avec une agitation croissante. Une furieuse colère montait en lui. Jamais le vieux Pardaillan n’avait vu son fils dans cet état. Et sans doute cette colère allait finalement se traduire par quelque éclat lorsque la porte s’ouvrit à nouveau. Les mêmes arquebusiers qui avaient conduit Ruggieri apparurent dans le couloir. Et le sergent qui les commandait dit simplement :
– Messieurs, veuillez me suivre.
Le vieux routier tressaillit d’espoir. Il voyait dans cet
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