L'épopée des Gaulois
récupérer. Ils attelèrent les chevaux. Ils rassemblèrent les vaches et les confièrent à quelques hommes habitués à mener des troupeaux. Garganos allait des uns aux autres, leur prodiguant des encouragements. Mais le druide demeurait à l’écart, silencieux, en pleine méditation. Et lorsque le neveu du roi Épomaros allait donner le signal du départ, il se leva et s’avança, la main levée, vers la troupe des rescapés.
— Attendez ! s’écria-t-il d’une voix forte. Nous ne pouvons pas partir comme cela sans accomplir un rituel d’exécration. Le mauvais sort nous poursuivrait si nous négligions de maudire la mer et ceux qui sont responsables de nos malheurs. Venez avec moi.
Il se dirigea vers le point le plus élevé de la colline. C’était un endroit qui surplombait une pente raide, laquelle autrefois dominait la plaine et qui formait à présent un éperon rocheux contre lequel venaient se briser les vagues légères que la marée montante jetait contre le rivage. Le druide se mit alors à psalmodier un chant étrange qui devait remonter du fond des âges, car personne parmi ceux qui l’avaient suivi n’en comprenait une seule parole. Ayant terminé son chant, il se tint quelques instants silencieux, comme s’il récitait en lui-même une prière qu’aucun être humain ne devait entendre. Puis il se retourna vers ceux qui le regardaient avec un certain étonnement, mais qui manifestaient un recueillement exemplaire.
— Que quelques-uns d’entre vous viennent autour de moi avec leurs lances ! s’écria-t-il.
Cinq hommes le rejoignirent portant à la main des lances de frêne qu’ils avaient récupérées sur le rivage.
— Une fois que je serai en train de chanter, leur dit le druide, je vous ferai un signe : alors vous jetterez vos lances dans la mer. Ne vous inquiétez pas, nous en trouverons bien d’autres pour nous défendre. Il est nécessaire que vous accomplissiez ce geste, au nom de tous ceux qui sont présents en ce lieu et qui vont le quitter à jamais.
Vissurix, le corps très droit, tendit les mains vers le ciel. Son visage était grave, tendu même. Il se mit à chanter :
« J’ai été dans la barque
avec Dylan, fils de la vague,
sur une couche, au centre,
entre les genoux des rois,
lorsque les eaux comme des lances inattendues
tombèrent du ciel
jusqu’au plus profond de l’abîme 30 . »
Il fit alors un geste vers les cinq hommes et ceux-ci, sans hésiter, jetèrent leurs lances dans la mer 31 . Et le druide reprit sa psalmodie :
« Oh ! ce bruit !… est-ce la terre qui tremble ?
Est-ce la mer qui déborde
de ses rives coutumières
jusqu’aux pieds des hommes 32 ? »
Ils se tenaient tous immobiles et silencieux dans l’attente de ce que ferait ou dirait le druide. Celui-ci se remit à psalmodier un chant d’autrefois :
« Quand Amaethon vint du pays de Gwyddion, de Segon à la puissante porte,
la tempête se déchaîna pendant la nuit, en pleine belle saison.
Les hommes tombaient, les bois n’étaient même plus un abri contre les vents,
car les dieux avaient libéré les éléments.
Alors Amaethon et Gwyddion tinrent conseil.
Ils firent un bouclier d’une telle puissance
que la mer ne put engloutir leurs meilleures troupes 33 … »
Vissurix s’avança alors sur l’extrême pointe de l’éperon rocheux sur lequel il se tenait. Il tendit les bras vers la mer et se mit à crier d’une voix puissante :
« Épomaros, lève-toi de ta froide tombe et regarde devant toi
la verte ligne de bataille des flots.
La mer a recouvert ce qui était autrefois ta terre.
Maudit sois-tu d’avoir entraîné sous les eaux
tous ceux qui étaient chers à ton cœur
et qui te respectaient du temps de ta grandeur.
Maudite soit la jeune fille
qui a libéré, après avoir lutté,
gardienne de la fontaine, la mer redoutable.
Maudite soit la jeune fille
qui a libéré, après avoir gémi,
gardienne de la fontaine, la mer dévastatrice.
Maudite soit la mer, maudites soient ses vagues,
pour avoir envahi les terres
qui étaient autrefois les domaines d’Épomaros 34 … »
Quand il eut terminé ces incantations, le druide Vissurix se retourna vers les hommes et les femmes, groupés autour de lui et qui le regardaient sans trop bien comprendre ce qu’il venait d’accomplir.
— Voilà qui est fait, dit le druide. Maintenant, nous pouvons partir.
Et la troupe des survivants se mit en
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