L'épopée des Gaulois
pour manifester une sorte d’orgueil démesuré : d’où leur ton menaçant, hautain et tragique, dans les moindres discussions. Ils ne supportaient guère la contradiction, non seulement de la part d’étrangers, mais également de la part de leurs parents et de leurs amis. Et, à cette franchise, cette fougue et cette sorte d’insouciance qui pouvait passer pour de la légèreté, ils joignaient un constant défi au bon sens, racontant sans honte les histoires les plus fantastiques et les moins crédibles. Quand on les excitait, quand on les provoquait sur le moindre prétexte venu, on les trouvait prêts à prendre leurs armes et à braver le danger, d’où qu’il vînt, sans avoir autre chose pour engager la lutte que leur force et leur audace à toute épreuve 38 .
Mais Garganos était plus impressionnant que tous les autres. Un jour, alors qu’ils avaient établi leur camp dans une clairière au cœur d’une forêt profonde, une troupe de marchands qui venaient de Grèce, avec des chars remplis d’amphores de vin, passa sur le chemin et s’arrêta auprès d’eux. Vissurix, qui avait déjà eu l’occasion de converser avec des Grecs, alla leur parler.
— Soyez les bienvenus dans cette clairière, leur dit-il. Je suis venu vous assurer que nous sommes des voyageurs exilés et que vous n’avez rien à craindre de nous.
— À quelle nation appartenez-vous ? demanda celui qui paraissait être le chef des marchands.
— Nous sommes de la nation des Celtes, répondit fièrement Vissurix. Et, jusqu’à présent, nous n’avons eu que de bons rapports avec vous, les Grecs, à moins que vous ne préfériez que je vous appelle les Hellènes.
— Les deux termes nous conviennent. Si je ne me trompe pas, tu es un druide ?
— Exactement. Mon nom est Vissurix.
— Mais quel est donc ce géant aux cheveux roux qui se trouve au milieu de tes compagnons ? demanda encore le Grec avec une voix qui trahissait une certaine inquiétude.
— C’est notre chef, Garganos, le neveu de notre défunt roi, répondit le druide, le plus valeureux et le plus audacieux de notre tribu, du moins de ce qu’il en reste.
— Comment cela ? s’enquit le Grec.
Vissurix, en quelques mots, lui expliqua ce qui leur était advenu et la raison pour laquelle ils se trouvaient là, en route vers des régions plus hospitalières où ils rejoindraient d’autres membres de leur peuple primitif. Le Grec hocha gravement la tête.
— J’ai entendu parler de catastrophes de ce genre, dit-il. Il y en a eu de semblables dans mon pays et, à chaque fois, les survivants sont obligés d’errer longtemps avant de parvenir à un pays qui leur convient. Mais, ajouta-t-il, en fixant son regard sur Garganos, je ne peux m’empêcher de penser à quelque chose à propos de ton chef, le grand guerrier roux. Il a exactement l’aspect sous lequel nous connaissons notre dieu Héraklès.
— Vraiment ? s’étonna le druide. On m’a raconté que ton dieu Héraklès était un géant dont la force était telle qu’il pouvait accomplir les exploits les plus impossibles. Certes, Garganos est d’une taille au-dessus de la normale et il possède une force redoutable, mais cela n’a rien de commun avec les récits que j’ai pu entendre au sujet de ton Héraklès.
— Ce qui est étrange, reprit le Grec, c’est que je me suis toujours étonné que les Celtes représentent leur propre dieu Héraklès sous l’aspect d’un vieillard presque impotent.
— Qu’est-ce qui te fait dire cela ? dit Vissurix en riant. Notre Héraklès, nous lui donnons le nom d’Ogmios, mais nous ne doutons pas de sa puissance.
— Oui, mais cela m’intrigue, insista le Grec. On m’a montré un jour un parchemin qu’on m’a certifié provenir d’une de vos tribus. Il n’y avait rien d’écrit, puisque vous, les druides, vous interdisez l’usage de l’écriture à tous ceux qui pratiquent votre religion. Mais il y avait un étrange dessin qui, paraît-il, représentait votre Héraklès, ou si tu préfères, votre Ogmios.
« Voici… C’était un vieillard d’un âge très avancé, dont le devant du crâne était chauve. Les cheveux qui lui restaient étaient tout à fait blancs. Sa peau semblait rugueuse, brûlée jusqu’à être tannée comme celle des vieux marins. On aurait pu le prendre pour un Charon, le nocher des Enfers, celui qui franchit les sombres eaux du Tartare pour y transporter les défunts. Mais on m’a certifié
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