L'épopée des Gaulois
qu’il s’agissait d’Héraklès. D’ailleurs, il portait une peau de lion suspendue à son épaule et tenait une massue dans sa main droite. Son carquois pendait à son cou et sa main gauche présentait un arc tendu. Il n’y avait aucun doute là-dessus : c’était bien une représentation d’Héraklès.
« Et il y a encore plus étrange. Je ne t’ai pas encore dit ce qui m’a le plus frappé dans cette image : ce vieillard attirait à lui un grand nombre d’hommes qui étaient attachés par les oreilles. C’est déjà surprenant, et je ne vois pas comment on peut lier des prisonniers par les oreilles. La membrane de celles-ci est beaucoup trop fragile. C’est totalement impossible. Mais, de plus, ce n’étaient pas des chaînes ordinaires grossièrement forgées avec des anneaux de fer, non, c’étaient des chaînettes d’or et d’ambre qui ressemblaient à de très beaux colliers.
« Et, en dépit de la faiblesse de leurs liens, ces hommes paraissaient n’avoir aucun désir de fuite. Cela leur aurait pourtant été très facile. Au contraire, loin de résister, de se raidir et de se renverser en arrière, ils suivaient tous leur maître avec joie et contentement, le couvrant de louanges, cherchant à l’approcher le plus possible, voulant même le devancer. Il y avait aussi un autre détail qui m’a frappé et que je ne m’explique toujours pas : le peintre, qui ne savait pas où placer le début des chaînes – en effet, la main droite du vieillard tenait déjà la massue et la gauche l’arc –, avait perforé le bout de sa langue et l’avait fait tirer par les hommes qui suivaient : et le vieillard se retournait vers eux en souriant.
« Je sais bien que vos coutumes sont étranges, ô druide, et que bien souvent nous sommes étonnés par votre comportement et par vos raisonnements. Je suppose que cette scène signifiait quelque chose d’important pour vous, mais j’avoue que je n’y comprends absolument rien, et cela m’irrite profondément.
Pendant que parlait le Grec, Vissurix s’était mis à sourire devant l’embarras qu’il manifestait.
— Allons, dit-il enfin, je vais te révéler ce qu’il en est de cette énigme, car je vois qu’elle te jette dans un grand trouble. Nous autres Celtes, nous représentons l’éloquence, non pas comme vous, les Hellènes, par le dieu Hermès, mais par Ogmios, celui que vous appelez Héraklès. Car, tu ne me contrediras pas, Héraklès représente une force que n’a pas Hermès. Mais, ce qui te déroute, c’est que nous lui avons donné l’apparence d’un vieillard. Cela ne devrait pourtant pas surprendre un Grec, car vos philosophes ont bien des fois mis en évidence que seule l’éloquence est susceptible d’arriver à maturité pendant la vieillesse. Vos poètes ont souvent affirmé que l’esprit des jeunes gens est flottant tandis que la vieillesse s’exprime avec plus de sagesse que la jeunesse.
« Ne t’étonne donc pas de voir l’éloquence, représentée sous une forme humaine par un Héraklès âgé, conduire de sa langue les hommes enchaînés par les oreilles. Ce n’est pas pour insulter le dieu que sa langue a été percée mais pour signifier que toute sa force réside dans sa parole. Un de vos poètes, qui ne manquait pas d’humour, n’a-t-il pas dit que « les bavards ont tous le bout de la langue percé » ? Nous prétendons que si votre Héraklès a accompli tant d’exploits remarquables, ce n’est pas seulement à cause de sa force physique, mais surtout par son éloquence parvenue à une grande maturité. C’est par la persuasion qu’il a pu venir à bout de tous les obstacles qui ont été dressés devant lui. Nos traditions, qui sont certainement aussi anciennes que les vôtres, répètent sans cesse que les paroles sont des traits acérés qui volent droit au but et blessent les âmes. Et vous-mêmes, vous n’êtes pas sans savoir que les paroles ont des ailes . Elles sont capables d’aller plus loin que n’importe quelle flèche lancée de main d’homme 39 . »
Ainsi parla le druide Vissurix au chef des marchands grecs, en plein cœur d’une forêt. Les Grecs et les compagnons de Garganos partagèrent leur repas, et l’on y but abondamment du vin que les marchands transportaient vers le nord. Et les deux groupes se séparèrent le lendemain en se souhaitant mutuellement longue vie et prospérité.
Ainsi, aux premières heures du jour, la troupe des rescapés de
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