L'épopée des Gaulois
un cauchemar pendant cette nuit. Pourtant, la réalité était là : ils étaient massés sur une hauteur, les vêtements mouillés ou déchirés, ayant perdu tous leurs biens, constatant que leurs habitations, leurs riches prairies et leurs champs cultivés avaient disparu sous les flots. L’angoisse les saisissait à l’idée qu’ils n’étaient plus qu’une poignée de survivants privés de tout et abandonnés dans un pays dévasté. Où étaient donc leurs parents et leurs amis ? Où était leur roi ? Où était la jeune fille qui avait pour mission de surveiller le puits ? Et il leur revenait à l’esprit ce que l’on avait raconté depuis tant de générations à propos de ce puits mystérieux par lequel s’étaient répandues les eaux dévastatrices que rien n’avait pu arrêter dans leur folie : la tradition à laquelle certains ne croyaient plus s’était révélée exacte. Et la mer, cette mystérieuse mer qui les inquiétait tant, avait tout balayé, tout effacé dans sa grande fureur. Et qui donc était responsable de tout cela ? Les dieux ou les hommes ?
En se posant toutes ces questions, ils tentèrent de s’organiser. On alla traire les vaches qui paissaient paisiblement sur l’herbe trempée et on distribua le lait à chacun. Puis les hommes se réunirent pour tenir conseil autour du druide Vissurix et de Garganos, le grand guerrier roux qui était le neveu du roi Épomaros. Le soleil fit alors son apparition dans le ciel et sa modeste chaleur les réconforta quelque peu. Comme c’était l’usage, le druide prit le premier la parole :
— Je crois, dit-il, qu’il n’est pas utile de nous retourner sur le passé. Nous avons subi le pire des cataclysmes. Nous avons tout perdu. Mais nous sommes en vie et nous devons prendre toutes les décisions qui s’imposent pour assurer notre avenir.
— Cependant, interrompit l’un des rescapés, nous aimerions bien savoir ce qui s’est réellement passé. Nous étions tranquilles dans nos demeures, sur une terre fertile, près d’une forêt riche en gibier de toute sorte, avec des prairies qui assuraient la prospérité de nos troupeaux, et nous nous retrouvons maintenant sans rien. Qu’avons-nous fait pour mériter un tel destin ? Est-ce que ce sont les dieux qui nous punissent parce que nous étions trop heureux, trop sûrs de nous ? Qu’en penses-tu, ô druide ? Peux-tu nous dire exactement ce qu’il en est ? Nous voudrions comprendre. Mais nous sommes prêts à suivre tes conseils car nous avons confiance en toi et nous savons que tes avis ont toujours été judicieux.
Le druide réfléchit quelques instants avant de répondre.
— Pourquoi toujours essayer de comprendre ? Nous sommes des êtres vivants jetés sur la terre par la volonté d’une mystérieuse divinité qui a créé l’univers et qui nous a confié le soin de l’organiser. Nous ne connaissons rien des intentions secrètes de ce dieu. Tout ce que nous savons, c’est qu’il nous a donné les moyens de poursuivre sa création et de la mener jusqu’à sa perfection. L’avons-nous fait ? Certainement pas. Nous avons parfois abusé de nos pouvoirs dans un sens qui n’était pas celui prévu par ce dieu. Nous sommes fautifs d’avoir négligé nos devoirs et de nous être laissés aller à la paresse.
— Alors, dit l’un des hommes, cette catastrophe est un châtiment qui nous a été envoyé par ce dieu dont tu parles !
— Ce n’est pas un châtiment, répondit Vissurix, mais un avertissement. Et c’est à nous d’en tenir compte. Je vais vous révéler quelque chose que je n’ai jamais osé rendre public jusqu’à présent. Et, en plus, je m’aperçois que j’aurais dû le faire. Voici ce dont il s’agit : une antique prophétie prétendait que ce pays serait englouti sous les flots de la mer lorsque le puits déborderait, cela vous le saviez. Mais cette prophétie ajoutait que cette invasion de la mer n’aurait lieu que la nuit où la gardienne du puits serait violentée par son roi. Or, c’est ce qui s’est passé, hier soir à la tombée de la nuit, je le sais, mais je n’ai malheureusement pas eu le temps d’intervenir : il était déjà trop tard et, comme mes forces ne sont plus celles d’un jeune homme, je n’ai rien pu empêcher. Car, je peux vous l’affirmer, au moment où elle s’apprêtait à refermer la dalle sur le puits, la jeune fille à qui incombait cette mission sacrée a été agressée par notre roi,
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