Les 186 marches
Grigori Zabolotniak, de Sibérie, se dirigea vers le Danube. En cours de route, ils se heurtèrent à une batterie antiaérienne allemande. Ils réussirent à tuer la sentinelle sans faire de bruit et firent irruption dans une tranchée où dormaient les servants qu’ils étranglèrent. Ils s’emparèrent de leurs armes et d’un camion qui se trouvait là. On plaça dans le camion les blessés et ceux qui étaient à bout de forces ; après quoi, Zabolot-niak mena ses hommes plus loin, vers l’est. Mais des colonnes d’infanterie motorisées de l’ennemi arrivèrent de Linz et tous les membres du groupe tombèrent dans ce combat inégal. Tous, sauf le jeune Ivan Serjuk, le « Petit renard ». Zabolotniak mourut dans les bras de ce jeune garçon. Il eut le temps de lui dire que sa famille vivait dans la ville de Kansk, en Sibérie.
★ ★
– A Mauthausen, à l’heure de l’appel, les portes des blocks restent fermées. La garde du camp est trop affairée à poursuivre les fuyards pour organiser la journée de travail. Seuls quelques hommes de « peine » quitteront leur baraque ce jour-là.
– Dans la matinée, je fus désigné avec d’autres camarades pour la corvée de neige à l’intérieur du camp… Bien entendu… Le travail consistait à charger la neige sur un chariot attelé par des détenus pour aller la déverser sur un terrain vague à l’extrémité du camp. Je signale ce fait car cette corvée m’a permis de voir passer à mes côtés, différents groupes de « repris ». Quel spectacle ! Bien que marchant dignement la tête haute, je n’en ai pas vu un seul qui ne soit couvert de sang… Un surtout, m’a particulièrement bouleversé… Il était grand et maigre et parmi toutes les plaies dont il était couvert… j’ai vu sur sa joue droite pendre son œil que quelques fils sanglants tenaient encore. Un de ses camarades le soutenait pour qu’il puisse suivre le groupe ; sur ses lèvres, il y avait comme un sourire. Derrière le groupe, les S. S. riaient à pleine voix, tenant leurs chiens en laisse. Quelques instants plus tard, des coups de feu espacés, là-bas du côté du crématoire, me firent comprendre que ces braves avaient fini de souffrir.
– Affecté à un kommando qui sortait du camp pour vider les ordures et les cendres du crématoire, je suis passé le lendemain matin au pied du mur du block 20. Les miradors étaient vides de leurs S. S., la trace des boules de neige se voyait sur les planches, des couvertures flottaient encore sur les barbelés. Au pied du mur, un trou, ce qui me fit supposer que nos camarades avaient également percé le mur d’enceinte.
– Pendant de longs jours, combien de questions nous sommes-nous posées. Combien dans l’état physique où ils se trouvaient, avaient pu survivre en admettant que les balles hitlériennes ne les avaient pas couchés sur la terre allemande.
– Pendant deux jours, nous vîmes ramener des cadavres défigurés ; souvent ils étaient traînés au bout d’une corde attachée aux pieds. Nous en comptâmes plus de trois cents. Mais il semble que quelques-uns des évadés aient pu gagner la montagne. Les-hommes demeurés au block 20 furent exterminés le lendemain matin et le block désaffecté. Cet extraordinaire exploit nous remplit d’espoir et consolida, chez les membres de l’organisation clandestine de Résistance, la résolution de lutter s’il le fallait.
– Le jour se lève, clair et froid : le 3 février 1945. Un silence insolite règne au camp, les kommandos ne quittent pas les blocks. Le nôtre est le seul à sortir, parce qu’on a justement reçu des matières premières aux ateliers. Parvenus en rangs au portail, nous apercevons un amas de cadavres vêtus de rayé. Vestes et pantalons sont déchirés, des plaies noires tachent les pieds nus, raidis par le gel. Nous nous arrêtons pour laisser passer en sens inverse un camion chargé de corps lacérés.
– Tout est clair : une évasion en masse, une tentative héroïque de se libérer, au péril de la vie. Nous ôtons comme toujours nos bonnets au commandement du kapo, nous défilons tête nue devant les morts, en rendant hommage à la vaillance de ceux qui furent de vrais soldats, de vrais humains.
– Nos hommes d’escorte sont visiblement déroutés, le kapo est mal à l’aise. Des colonnes de fumée blanche montent de la vallée du Danube. On chauffe les maisons. La neige compacte scintille, le soleil luit, le
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