Les 186 marches
que la moyenne. Des cheveux roux avec quelques touffes grisâtres.
– Ripschinski ?
– Oui !
– Michel ?
– C’est ça.
– Ancien détenu du block de la mort ?
Une ombre apparaît sur son visage et après une seconde de silence :
– C’est moi-même.
– Vous vous êtes évadé avec Nicolas Zimkalov ?
– Oui, nous nous sommes retrouvés dans le village de Winden. Nous nous sommes cachés dans le grenier de l’écurie. Une heure plus tard une voix sévère nous a crié de descendre, puis une voix de femme a dit : « Ne restez pas là, vous allez vous faire prendre, vite descendez et rentrez dans la maison. » Les S. S. ont fait plusieurs perquisitions. Ils étaient partout dans la maison, la cour de Langtaler, les dépendances, mais ils ne sont pas rentrés dans la chambre à coucher où nous avait cachés la paysanne, sous le lit. L’air sévère du paysan leur inspirait confiance… Nous sommes partis après la Libération. Nous pleurions. Maria Langtaler était pour moi une vraie mère.
Neuf survivants.
Neuf survivants sur les six ou sept cents détenus que comptait le block 20 le 2 février 1945.
Neuf survivants qui, avec leurs camarades, ont réalisé probablement, le plus grand exploit de toute l’histoire de la déportation.
MONSIEUR JULIEN
C’ÉTAIT au Revier de Mauthausen, peu de temps avant la Libération.
Quelques Français, dont j’étais, avaient réussi à s’agréger, dans le block 3, et formaient là une société très unie. Il y avait des hommes considérables et du meilleur monde ; parmi eux, notamment, se trouvait M… (ici le nom d’un personnage investi d’une haute fonction publique. Appelons-le Monsieur Julien).
Monsieur Julien était un excellent camarade, spirituel, alerte, point du tout pontifiant, et qui s’était admirablement adapté à notre condition misérable. Malheureusement, il fut atteint de dysenterie et fut emporté en quelques jours par la Scheisserei.
Notre Biokältester était sympathique et se trouvait en bons termes avec le chef du krematorium ; ainsi, il nous fut possible de faire mettre à part et de recueillir les cendres de ce pauvre M. Julien. On les introduisit pieusement dans une bouteille et cette bouteille fut placée avec précautions sur une solive qui nous servait d’étagère commune et où nous placions nos gamelles, nos cuillers et toutes nos menues richesses, bouts de ficelles, boutons, une aiguille è coudre, etc. Mais voilà ! la solive était étroite et, chaque lois qu’on voulait en retirer un objet, la malencontreuse bouteille venait vous embarrasser et se mettre au travers.
Un jour, l’un des autres, un maître de la parole et un homme d’une distinction parfaite, cherchant un objet personnel, faillit renverser à plusieurs reprises l’inévitable flacon.
Exaspéré, il le déposa violemment sur la planche ; puis, le considérant d’un air sévère, il eut cette exclamation admirable qui déclencha parmi nous un rire inextinguible :
– Écoute, Julien ! Tu commences par nous emmerder !
LA BRÈCHE LA PLUS LARGE
L’INTRANSIGEANCE allemande fissurée par les efforts de Musy et de Bernadotte, sapée par les oppositions internes de ses différents états-majors, n’a plus le pouvoir de se ressaisir. Ribbentrop, lui-même, lâche du lest et Kaltenbrunner se laisse persuader par Schellenberg de rencontrer le docteur Cari Burckhard, président du comité international de la Croix-Rouge qui « voudrait bien aller plus loin que Musy ».
– Le 1 er février 1945, le ministre des Affaires étrangères du Reich informait le comité international, en réponse à sa lettre du 2 octobre 1944, que l’envoi de colis – nominatifs ou collectifs – était autorisé dans les camps de concentration pour les détenus originaires des territoires français et belge. En outre, le ministre donnait l’assurance que ces détenus pourraient correspondre avec leurs familles au moyen de formulaires spéciaux établis par le comité international de la Croix-Rouge.
– Le comité multiplia alors ses efforts et ses démarches pour tenter de remédier à la crise ferroviaire en improvisant une vaste organisation de transports routiers destinée à ravitailler d’urgence les camps de prisonniers de guerre et les camps de concentration. Il adressa un pressant appel aux gouvernements alliés pour que quelques centaines de camions et de l’essence soient mis à sa disposition. Gagné à ces vues, le
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