Les 186 marches
nous interroger. Est-ce l’extermination si souvent annoncée qui commençait ? Les affaires allaient mal pour les nazis sur tous les fronts et nous les savions tous nerveux… Au tir nourri succédèrent des coups de feu isolés et puis un remue-ménage qui, lui, dura toute la nuit. Aucun d’entre nous ne retrouva le sommeil.
– La mitrailleuse tire précipitamment. Je m’habille vite, sans descendre de la couchette. Je bouscule Savostine : lui aussi s’habille. Et Victor. Et Byrovsky, membre de notre groupe clandestin de Résistance, Nous secouons les copains, ils s’habillent également, tout en restant couchés… Ça se déclenche peut-être ? (la révolte générale de tous les déportés).
– Les rafales de mitrailleuse se multiplient. Des coups de fusil se font entendre dans les intervalles. L’obscurité, derrière la fenêtre, est subitement coupée par un flot de lumière éblouissante : c’est un projecteur… Nous sommes prêts. Ivan Mikhéievitch doit nous envoyer ses ordres par un agent de liaison. Je l’attends, le cœur battant.
– Le fracas de la mitrailleuse a cessé, le bruit d’une chute d’eau nous parvient subitement. Un bruit bizarre, angoissant. Il me semble entendre des centaines de voix, mais ce n’est évidemment qu’une illusion. La chute d’eau a un bruit bizarre, angoissant… Pourquoi personne ne vient de la part d’Ivan Mikhéie-vitch ? Que se passe-t-il ?
– Le tir reprend. La mitrailleuse a un grondement net, impérieux. La rafale tarit, le bruit d’eau, telle une rumeur de centaines de voix confuses, se poursuit à notre droite, du côté du block 15. Que se passe-t-il ?
– Qu’y a-t-il donc ? Ivan Mikhéievitch nous aurait-il oubliés ? Si nous agissions de notre propre chef ? Le camp paraît pourtant calme à l’intérieur…
– Le tir cesse, de même que le bruit d’eau, les S. S. gueulent autour de la baraque. Des coups de pistolet claquent isolément. Là-bas, à droite, dans le halo bleu du projecteur, des motocyclettes ronflent, des gardes casqués armés de fusils, courent le long des barbelés.
Dans la cour du block 20, quelques hommes sont pris de panique. Ils trébuchent sur les corps de leurs camarades fauchés par la seconde mitrailleuse.
– Ils se mirent à courir pour regagner le baraquement. « Arrêtez ! » cria Tkatchenko en leur barrant la route et en les forçant à reprendre le combat.
La première mitrailleuse se remet à tirer, mais cette fois ce sont deux déportés qui dirigent le feu.
– Ils ont réussi très vite à faire taire la mitrailleuse du second mirador. Pendant ce temps, une longue file de déportés se range devant le mur extérieur. Ceux qui avaient été désignés se courbent, d’autres grimpent sur leurs épaules. Les couvertures sont jetés sur les barbelés électrifiés. Les hommes de tête se suspendent à ces cordages improvisés. Les arêtes d’acier ne cèdent pas. Des hommes se couchent sur les barbelés en formant une passerelle que franchissent leurs camarades. Mais les supports cédèrent une décharge électrique énorme jaillit et la lumière s’éteignit dans tout le camp. Les sirènes hurlèrent dans l’obscurité, on entendit les cris des S. S. et les coups de fusil mitrailleur : les mitrailleuses du grand camp de Mauthausen tiraient sur le block de la mort.
– La cour du block était jonchée de cadavres, des morts pendaient aux barbelés, mais la foule des assaillants avait franchi le mur. De nouveaux obstacles les attendaient là : un fossé rempli d’eau glacée et une barrière de fils de fer barbelés, également électrifiés. Les mêmes couvertures servirent pour sauter cette clôture à trois piquets de deux mètres de large, et les prisonniers se retrouvèrent hors du camp, dans un champ enneigé. Ils se dispersèrent par groupes. Mais déjà des gardiens du camp, accompagnés de chiens policiers, s’élançaient à la poursuite des évadés.
– Le groupe le plus important de fuyards se dirigea vers la forêt. Mais leurs poursuivants les repérèrent et parvinrent à les rejoindre. Quelques hommes du groupe firent alors demi-tour. Ils entonnèrent le chant de Y Internationale et se dirigèrent vers les S. S. pour leur livrer la dernière bataille, tomber en combattant et, au prix de leur vie, faire gagner quelques instants précieux à leurs compagnons pour leur permettre d’atteindre la forêt.
– Un autre groupe, commandé par le colonel
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