Les 186 marches
froid est vif ; peut-être que des évadés sont en train de cheminer dans les bois, en direction de la frontière tchécoslovaque… Épargne-les, froid hivernal, cache-toi, soleil ! Que de sombres nuées chargent le ciel, que le dégel intervienne, que nos camarades soient accueillis au plus vite par les partisans, que les Autrichiens honnêtes les hébergent, les réchauffent.
– Les ouvriers civils sont aussi embarrassés. Le contremaître me dit à mi-voix que la radio de Vienne a émis une information spéciale : plusieurs centaines de criminels dangereux se seraient évadés du camp de Mauthausen, les autorités appellent la population à contribuer à leur capture.
– Ainsi, tous n’ont pas été rattrapés… Tant mieux ! On peut donc prendre d’assaut les barbelés électrifiés et les miradors, c’est réalisable. Très bien ! Leur expérience nous servira. Nous aussi, nous attaquerons, nous savons désormais que c’est possible. Nous attaquerons avec assurance, le moment venu !…
– L’atmosphère du camp est tendue. Les S. S. ont sûrement peur que nous suivions l’exemple du block 20. Pour la garde intérieure du camp, les blockführer sont secondés par des « pompiers », droit commun et politiques renégats, parés d’uniformes bleu clair. A leur tête se trouve Proske, l’ancien secrétaire du block 18. Je le vois sur le perron du block 16 : il est « Brandmajor », définitivement vendu aux S. S… Le gel pince les oreilles, oppresse la respiration ; nous ôtons nos bonnets et franchissons le portail du camp dans un clic-clac de galoches.
– Un « repris » russe fut mis au cachot, en face des douches. Dans le local d’accès aux « bains » travaillaient tous les soirs, à partir de 20 heures, ceux que l’on appelait les « tailleurs de la nuit ». C’était un kommando de détenus qui, pendant la nuit, rapiéçaient les vêtements des autres détenus qui étaient occupés pendant la journée. Le kapo de ce kommando était un Allemand du nom de Barozinski.
– Dans le courant de la soirée, s’amena le Rapportführer Reigeler. Il s’approcha du Russe. Ce dernier était enchaîné. Reigeler le frappa jusqu’au moment où il tomba à terre. Reigeler prit une canne et fit sauter les yeux du détenu. Le détenu cria très fort et Barozinski put suivre toute la séance. Reigeler enfonça les côtes ; ensuite il enfonça la canne dans la bouche du détenu jusqu’au moment où la pointe sortit du cou. Les cris du détenu étaient plus faibles car le sang lui remplissait la bouche. L’homme vivait encore, Reigeler l’acheva au pistolet. Il ordonna à Barozinski de le débarrasser du cadavre. Barozinski en fut très troublé et l’était encore le lendemain matin lorsqu’il me raconta l’affaire.
★ ★ ★
– Quelques rares survivants passèrent malgré tout dans les mailles du filet.
– Victor Ukraintzev et Ivan Bitjukov, après avoir erré dans les bois, se glissèrent la nuit dans la propriété du bourgmestre de Holzleiten. Dans une grange, ils découvrirent trois journaliers agricoles prêtés par l’administration d’un camp de détention au cultivateur. Deux étaient Soviétiques : Vassili Logovatovski et Leonide Chachero, le troisième, Metyk, Polonais. Ils comprirent immédiatement la situation. Après les avoir restaurés avec des pommes de terre bouillies, préparées pour le bétail, ils décidèrent de les cacher dans le grenier de la maison du maire. Il y avait peu de chances pour qu’on les recherchât là-haut. Les valets savaient qu’ils risquaient leur vie si les prisonniers étaient découverts. Mais ils acceptèrent ce risque. Et l’honorable maire de Holzleiten, qui prenait une part active aux recherches des évadés, ne soupçonnait pas que ceux qu’il recherchait avec tant d’acharnement se trouvaient si près de lui ; dans le grenier situé juste au-dessus de son lit et qu’ils y dormaient recouverts de trèfle. Pendant quinze jours, les trois serviteurs hébergèrent les évadés. Ils les nourrissaient, en volant des vivres chez le maire et en rognant sur leur propre ration déjà maigre. Lorsque le calme revint dans le pays, ils leur procurèrent des vêtements civils. Enfin, une nuit, Ukraintzev et Bitjukov se mirent en route après avoir remercié leurs sauveteurs.
– Le sort les sépara peu après. Ils tombèrent dans une embuscade. Ukraintzev fut repris mais, connaissant l’allemand, il se fit passer
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