Les 186 marches
de large, sans drap, sur une simple paillasse ou même directement sur les planches.
– Au mois de mars, dès les premiers rayons de soleil printaniers, nous avons eu des sabots : semelles de bois, recouverts d’une simple toile clouée à l’avant des sabots. Nous nous tordions souvent les chevilles avec ceux-ci et, lorsque la toile se déclouait, les clous libres nous égratignaient et blessaient nos pieds, formant des abcès et des plaies ; nous ne pouvions aller à l’infirmerie car, pour avoir droit aux soins, il fallait avoir 39°de fièvre. Le bois des sabots était très tendre et se fendit très vite, nous obligeant à marcher pieds nus dans la boue, à cause de la fonte des neiges, mais nous devions garder les sabots à la main pour éviter de les perdre, sinon c’était la schlague ; la perte d’un vêtement équivalait à un sabotage et à vingt-cinq coups de nerf de bœuf sur les fesses. Après plusieurs mois de fatigue, d’angoisses et de dépressions, nous avons eu, au mois de mai, une bonne nouvelle : l’erreur était reconnue et nous allions être libérés.
– Réunis tous les trente et un dans une baraque, nous récupérions nos vêtements de P. G., chacun avec un pain blanc, un saucisson et des victuailles, nous nous dirigeâmes vers la gare avec une angoisse, car l’un de nos camarades, Perrey, était gravement malade et se trouvait au Revier. Il nous vit partir et son moral était bien bas.
– A la gare, déception… Le convoyeur du wagon cellulaire refusa de nous prendre, faute de place, et nous dûmes retourner au camp, la tête basse et redonner le pain et les victuailles que nous n’avions pas mangés en cours de route. Notre camarade Perrey reprit du courage en nous revoyant, et guérit plus vite pour partir avec nous. Nous dûmes vêtir à nouveau les pyjamas rayés et réintégrer la baraque où de nouveaux sévices nous attendaient. Il fallait cirer les parquets, nettoyer les vitres jour après jour, et ensuite sortir de la baraque même s’il pleuvait, pour ne pas salir les chambres ou déranger le chef de block et ses adjoints.
– Enfin, le jour du départ vint et nous partîmes tous les trente-deux en wagon de voyageurs, accompagnés de soldats de la Wehrmacht et non des S. S., en direction de Vienne, Brno en Tchécoslovaquie, puis Berlin à la prison centrale Alexander Platz. Le matin de notre arrivée à Berlin, nous traversâmes la gare, menottes aux mains, accompagnés chacun d’un Schupo jusqu’au panier à salade, alors que normalement, les P. G. étaient accompagnés par des soldats. Nous avons rejoint le Stalag XI B à Fallingbostel et ensuite ce fut notre libération et le retour dans nos foyers, après avoir signé un papier « de ne rien révéler de notre aventure au camp de concentration ». Tous les mois, nous devions nous présenter à la kommandantur de notre secteur.
– Je dois remercier bien sincèrement tous ceux du camp de Mauthausen qui ont pu nous aider à constituer nos dossiers et à accélérer les papiers auprès des autorités de la Gestapo et de l’état-major des S. S., pour que nous puissions revenir en France et témoigner. Les Espagnols connaissaient depuis longtemps l’internement et savaient, que très peu survivraient à ce cauchemar.
– Rentré à Paris, je fis partir mes parents en zone libre, mais, hélas ! mon frère Jack fut pris à la ligne de démarcation et fut déporté à Auschwitz où il mourut. Je remercie mes camarades P. G. parisiens qui m’aidèrent à survivre et à me cacher au péril de leur vie.
– Ma liberté fut de courte durée, en septembre je fus dénoncé par un voisin (qui s’enfuit en Argentine à la Libération) et de nouveau je connus la déportation à Auschwitz (numéro 65 728 – nous sommes trois survivants de notre convoi) où je contractai la malaria. Je fus envoyé à Maidanek Lublin avec d’autres déportés pour être exterminé. Mon métier me sauva de nouveau, et je me retrouvai aux « tailleurs S. S. ». Devant l’avance des troupes soviétiques, nous quittâmes Maidanek pour Cracovie et, hélas ! beaucoup de mes coreligionnaires moururent, faute de soins et du typhus. Affaiblis, nous fûmes mis en quarantaine. J’étais devenu un « musulman », c’est-à-dire un squelette ; je pesais 41 kilos – alors qu’au régiment j’en pesais 90 – pour 1,73 mètre. A Cracovie, je travaillais à l’aplanissement des terres de l’aérodrome, pour la
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