Les 186 marches
L’administration policière n’est pas à l’abri des erreurs.
– Au début de janvier 1941, nous étions plusieurs prisonniers de guerre blessés ou malades, en traitement à l’hôpital militaire de Belfort. Nous sommes partis trente-deux gars en convoi, dans un wagon sanitaire, accompagnés d’un médecin militaire français, avec environ deux mille P. G. de nationalité espagnole du camp de Belfort, en direction de l’Autriche à Krembs, mais nous sommes arrivés à Fallingbostel Stalag X IB dans la province de Lunebourg, entre Breme Hanovre et Hambourg. Quelques jours plus tard, nous sommes repartis sans le médecin militaire français (et j’insiste sur ce point), en wagon plombé pour l’Autriche, mais nous ignorions totalement la destination.
– Notre surprise fut très grande lorsque nous sommes arrivés, quelques jours plus tard, à Mauthausen, en pleine nuit, et qu’au petit matin les S. S., accompagnés de leurs chiens, nous chassèrent à coups de crosse des wagons.
– Mon camarade Dreyfus et moi, nous nous mîmes au milieu de la colonne, car étant Juifs, nous voulions éviter de nous faire remarquer. Nous savions qu’alors nous aurions de sérieuses difficultés et que notre vie comme notre libération ne tiendraient qu’à un fil. Notre stupeur fut grande lorsque nous découvrîmes la forteresse de Mauthausen, ses murs et sa porte d’entrée gigantesque.
– Rassemblés dans la cour, nous fûmes conduits vers une grande baraque où l’ordre nous fut donné de nous dévêtir entièrement. Plusieurs de nos camarades gradés, sergent-chef ou adjudant, protestèrent et réclamèrent notre libération et notre renvoi dans un camp de P. G. Notre ami, André Roche, qui parlait l’allemand, se fit notre interprète auprès de l’officier S. S. qui avait donné l’ordre de déshabillage et fit quérir le commandant du camp. Après plusieurs interventions de nos gradés, l’ordre formel fut donné par le commandant de nous dévêtir car nous étions des membres des Brigades Internationales de la guerre d’Espagne, car il y avait deux Polonais dans notre groupe, un habitant la Suisse et moi qui étais né en Angleterre. Devant notre protestation, le commandant sortit son revolver et les S. S. braquèrent les armes sur nous qui étions restés dans la baraque, après le départ des Espagnols.
– Ayant rangé nos vêtements dans des grands sacs en papier, nous allions à la douche et étions dirigés sur les blocks de quarantaine. Notre contact avec les autres Haflings fut très pénible, car ils nous reprochaient notre défaite et d’avoir capitulé rapidement devant les troupes allemandes, alors que les Polonais avaient mieux résisté et défendu farouchement leur pays. Malgré les promesses des S. S. de ne pas travailler, nous fûmes envoyés au kommando de la carrière, et un jour nous nous retrouvions en compagnie disciplinaire où, à deux, nous devions faire le travail de quatre et toujours au pas de gymnastique. Comprenant l’allemand, je traduisais les ordres à mes camarades pour nous éviter de recevoir des coups et, lorsqu’on me demandait d’où je connaissais la langue, je répondais que je l’avais apprise à Haguenau, en accomplissant mon service militaire.
– C’est en parlant français entre nous qu’un policier S. S., qui avait vécu en France, nous demanda les raisons de notre présence à la « Straffkompanie » et découvrit que nous y étions à la place d’autres déportés. Nous avons travaillé plusieurs semaines à la carrière, et nous n’étions pas dispensés de remonter, chaque soir, une grosse pierre comme les autres déportés travaillant à la carrière. Personnellement, j’eus de la chance : étant culottier, je fus affecté aux « tailleurs S. S. » où je retaillais des pantalons en culotte de cheval, très appréciées par les S. S. Je fus à l’abri des intempéries, mais pas des coups. Nous ne pouvions aller aux w.c. pendant le travail, et il fallait tricher ou inventer une histoire pour sortir de l’atelier et aller aux toilettes clandestinement. Pour éviter les parasites, je couchais au block n° 1 avec d’autres détenus déportés privilégiés, ayant un contact direct avec les S. S. J’avais droit aux douches plusieurs fois par semaine, vêtements propres et corrects, draps et édredon dans ma couchette pour moi seul, alors que mes camarades P. G. dormaient à deux ou trois dans une couchette de 60 centimètres
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