Les 186 marches
allongea un coup de pied à l’un d’eux qui ne marchait pas au pas des trois autres.
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– En une quinzaine de jours, des deux cent trente invalides que nous étions au début, il ne reste qu’une poignée de pauvres survivants. Quant à moi, le dernier jour de l’existence du « 16 », le vendredi 24 juillet dans l’après-midi, je vis double et je m’affaissai à plusieurs reprises au cours du travail. Si le kapo Georges avait remarqué que je ne pouvais plus travailler, il m’aurait achevé. Je m’appuyai contre la muraille de grès et fis semblant de remuer ma pelle. Enfin le sifflet libérateur se fit entendre. Sur la route, je commençais à tomber de fatigue et perdis connaissance. J’étais affaibli par une blessure purulente au talon et « j’avais de l’eau » jusqu’au ventre. Mes camarades me sauvèrent la vie cette fois encore, et d’un effort suprême me firent passer la grille d’entrée du camp. L’Espagnol Pedro me sauva du « Waschraum » et me cacha derrière les matelas. On me raconta tout cela par la suite. Je ne me souviens pas non plus d’avoir trouvé, avant le départ du chantier, une pomme de terre pourrie et d’avoir combattu un Russe pour l’obtenir en le menaçant de ma pelle. L’instinct de conservation allait au-delà des frontières du conscient. La nuit, quand je revins à moi, mes camarades me donnèrent à manger. La pensée de ce qui arriverait le lendemain quand le blockführer qui m’avait rayé au rapport me reverrait, me tourmentait. J’étais persuadé qu’il m’achèverait. Je ne pus en croire mes oreilles quand, vers une heure du matin, le 25 juillet, j’entendis le blockführer crier à son subordonné : « Block 16 ist sofort für die Russen freizumachen und der Invalidenrest soll dem Arzt vorgeführt werden. » Combien cynique cette question ! Le lendemain matin, au scribe étonné : « Wieso denn, Vitek, dass du noch lebst. » – J’étais sauvé après une journée et une nuit dramatiques. C’était le miracle que la plupart de mes camarades ne virent pas se réaliser. Beaucoup d’entre eux moururent au block 16 d’une mort de martyr : l’instituteur Hebron, le docteur Kuzicka, le professeur Mrkos, Brettschneider et Vedra. Là moururent aussi le docteur Teichman et Schneider, Podlasecky ; Kalas, Per-sit, Gihak, Hanzliz, Richter, Adamik, etc. Le docteur Gernohlavek, l’instituteur Kovar, si populaire, moururent plus tard des suites des privations subies. Recek, Cesal, Knot, Koudal, le docteur Derka périrent également par la suite à Dachau.
– Plus tard, nous passâmes par une longue suite de privations au block 19, dont l’effectif hétérogène, composé surtout de Tchèques, était destiné à un transport d’invalides. Il fut intentionnellement à moitié exterminé par les traitements brutaux du chef de block et de ses bourreaux. Au début, nous dormions quatre par lit, à la fin nous n’étions plus qu’à deux. On nous chassait dehors, en chemise, nu-pieds, dans les brouillards matinaux de l’automne et sous la pluie. Nous restions des jours et des semaines sans bandages et sans soins. Je plaignais surtout le conseiller du ministère Kopecky qui y mourut. Nos amis de l’autre côté des fils barbelés nous prévenaient du danger et nous conseillaient : « Tâchez de vous tirer de là aussi vite que possible. » Mais comment ? L’incertitude de ce que nous deviendrions réduisait la plupart d’entre nous au désespoir, surtout quand on eut effectué la division en groupe A, où se trouvaient les « forts » et en groupe B, où se trouvaient les faibles dont on considérait le sort comme réglé. On joignit à nous les Juifs et des invalides d’autres blocks, tandis que les « proéminents » étaient cachés à l’hôpital. Parmi ceux-ci se trouvait le docteur Jebavy, médecin de Brno, qui résista longtemps avec un gros phlegmon au bras, qui succomba également un peu plus tard.
– Comme nous l’apprîmes plus tard, nous étions destinés à la chambre à gaz. Une partie de ceux qui, malgré de grands phlegmons avaient survécu à la persécution du « 16 » (par exemple Hen et Czete) et ceux qui, dans les deux groupes, furent appelés par ordre alphabétique (par exemple Adamek, Babiak) n’échappèrent pas à cette mort. Le professeur Rikov-sky, géographe qui travaillait’au début avec moi dans la carrière, et qui, en dépit d’un sarcome dans la région de l’omoplate,
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