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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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glaçaient, ou la vision que nous avions eue de notre camarade surgi du fond de la mort ? Tous ceux qui travaillaient près de moi étaient pâles ; mes mains tenant la pelle étaient bleues de froid.
    – Nous travaillâmes encore un quart d’heure. La pluie tombait toujours, cette pluie infernale des montagnes du Tyrol, qui suit la neige dès le mois d’avril, jusqu’au mois de juillet, et cède ensuite la place à un. soleil éclatant et torride. Negro avait ralenti ses aboiements. Il s’était abrité sous un baraquement de planches où l’on rangeait les outils.
    – Comme je levais la tête, j’aperçus de nouveau Karel. Je poussai une exclamation qui fit se dresser mes camarades. Tous se figèrent en apercevant le Tchèque. La deuxième rafale non plus ne l’avait pas tué. Il redescendait le sentier qu’il avait gravi d’un pas si brave, il fuyait la mort. Sa chemise était rouge de sang. Son visage avait une teinte verdâtre. Par quel miracle d’équilibre tenait-il sur ses jambes ? Malgré le sentier rapide, tout le haut de son corps était penché en avant comme celui d’un homme qui va s’affaler. Quand il eut descendu le remblai, il se dirigea vers une baraque construite à l’autre extrémité du chantier et qui servait de forge pour réparer les outils et les wagonnets. C’était la chaleur de cette forge qui l’attirait, qui attirait son pauvre corps glacé par la pluie et l’approche de la mort. Toute sa volonté, toute sa bravoure avaient disparu. Il n’était plus qu’un pauvre homme inconscient, cherchant à remplacer cette chaleur qu’il perdait chaque instant davantage avec le sang qui ruisselait de sa poitrine criblée de balles. Un moment, il essaya de courir, ses pieds nus traînant dans la boue. A quelques mètres de la baraque, il s’arrêta tout tremblant, épuisé ; puis il tomba sur les genoux et lentement s’affaissa de tout son long.
    – Le kommandoflihrer arriva aussitôt, frappa du pied le corps étendu. Karel n’était pas encore mort. Le S. S. fit un signe à quelques détenus qui vinrent le soulever et le portèrent au pied du chantier qui conduisait au mirador. Le kommandoführer qui avait suivi lui expliqua qu’il faudrait remonter dès qu’il aurait repris un peu de force. Il tournait autour du corps, visiblement heureux de contempler cette immense souffrance qu’il aurait pu faire cesser d’une balle de revolver. Puis il s’éloigna pour faire sa ronde de surveillance dans la carrière.
    – Quelques instants plus tard, Helmut revint. Il essaya de parler à Karel, mais le jeune Tchèque était incapable de répondre. Il se pencha alors et soulevant la tête du jeune homme, il la posa sur une pierre comme oreiller. Puis, il lui mit une cigarette dans la bouche ; mais le mourant ne pouvait l’allumer. Il la lui reprit et après l’avoir allumée, il la replaça entre les lèvres.
    – Toujours la pluie. Elle tombait sur le moribond. De temps en temps, nous l’apercevions qui rassemblait ses forces et qui dressait son visage, essayant de pénétrer davantage dans cette eau qui devait lui être bienfaisante. Bien que nous fussions trempés et glacés jusqu’aux os, elle nous sembla moins atroce à supporter lorsque nous nous aperçûmes qu’elle calmait la fièvre de notre malheureux camarade.
    – Il était allongé au pied du remblai. A cet endroit, la ligne de chemin de fer passait à deux mètres de lui.
    En allant chercher les wagonnets vides que nous fournissait le moulin, nous pouvions ainsi le regarder de très près. Il avait toujours le teint verdâtre que je lui avais vu l’instant d’avant, lorsqu’il descendait le chemin. A chaque expiration, il poussait un long gémissement. Il ouvrait les yeux en entendant le bruit des wagonnets, et nous regardait, mais il ne nous reconnaissait pas.
    – Il resta ainsi toute la matinée. Il était d’une vitalité extraordinaire, et malgré les huit balles qui avaient traversé son corps, il ne pouvait entrer dans la mort qui, seule, aurait pu abréger sa souffrance.
    – A 11 h 30, le kommandoführer revint, accompagné de quatre détenus portant une civière. Notre malheureux camarade y fut allongé. Il remuait encore. C’est dans cet équipage qu’il nous quitta. Nous le suivîmes des yeux aussi longtemps que nous le pûmes et que les clameurs de Negro nous le permirent. Les hommes qui portaient la civière piétinaient lamentablement dans la boue gluante. Le kommandoführer

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