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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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caret d’acier, puis qu’on tranche au burin afin d’obtenir des anneaux ouverts dont il faut écraser les bouts et les percer à chaud pour les assembler ensuite quatre par quatre sur celui du centre, à l’aide de petites pinces, et les river 13 . Et recommencer après les avoir raboutés les uns aux autres… Tout cela en tenant compte des formes du demandeur… On employait moult myopes et louchons… Le saviez-vous ?
    Tristan observa, dans l’ombre, les mains de Tiercelet. Grosses, plates comme des battoirs, leurs doigts longs, déliés, semblaient presque féminins.
    –  Ah ! La la… Faut en avoir réuni des millions depuis l’âge de dix ans pour prendre ces anneaux en haine !… Car ce n’était pas tout que de les assembler ; il fallait tenir la mesure : en joindre deux cents, le temps de deux renversements du gros sablier posé sur la table autour de laquelle nous étions quinze : hommes, femmes, enfants. Deux centaines de mailles, cela pouvait aller quand les anneaux étaient pareils aux affiquets que les dames et les jouvencelles portent à leur petit doigt, mais pour ceux de la taille au-dessous, destinés aux camails et aux jaques, on n’avait pas loisir de lever le nez de l’ouvrage, et nos paumes, à force de serrer les pinces, nous faisaient bien mal au soir… Gauvain d’Andeville, qui nous employait, possédait le meilleur atelier de la cité, qui en comptait douze. De l’aube à la vesprée, chaque jour que Dieu fait, on maillait avec, juste à midi, une pause : le temps d’avaler du pain et du fromage, et l’été une pomme ou une poire en sus… Nous mangions avec des mains qui tremblaient et ne savaient plus guère tenir autre chose que des pinces et des anneaux de fer… Le droit d’aller quatre fois par jour aux bostrués 14 . Notre rétribution ? Vos palefreniers n’en auraient pas voulu… Et j’allais oublier les cograins qui nous perçaient les doigts !… Saletés !
    – Qu’est-ce donc ?
    – Les parcelles de fer qui s’attachent à la filière dans les tréfileries et qui parfois restent collées aux anneaux.
    Une colère certainement légitime chauffait le sang de cet homme, mais c’eût été l’offenser que de s’émouvoir sur son sort : il détestait la pitié, la compassion, voire la bienveillance. Il disait les choses tout bonne ment, comme un malade au seuil de la convalescence et qui se remémore les tourments qu’il a subis.
    – Oui, messire, payés chichement alors que le Gauvain vendait nos habits de fer à des prix qui nous indignaient !
    Tristan approuva. Il fallait se saigner aux quatre veines pour acquérir ces cottes dans lesquelles on connaissait mieux que nu la forme de son corps et le poids de ses gestes. Il n’avait jamais pensé aux travaux des mailleurs de Chambly, de Paris, de Marseille. Et pourtant !… Quand, avant la tuerie de Maupertuis, la sueur ruisselait sur ses chairs, il avait moins songé à la proche bataille qu’à écarter de sa peau moite cette pesanteur d’anneaux de fer pour tenter qu’un peu d’air s’insinuât dedans. Maintenant qu’il délibérait sur la réponse susceptible de satisfaire Tiercelet, ses nerfs à vif subissaient les désagréments de ce fardeau imaginaire. Car à Maupertuis, s’il ne portait pas d’armure de plates mais un haubergeon ayant appartenu à son père, il avait envié ses voisins qui, eux, en étaient pourvus. « Quoique fort jeune, lui avait lancé Arnaud de Cervole, vous faites parmi nous figure d’ancien ! » Au diable cet Archiprêtre dont le harnois ostentatoire étincelait parmi ses souvenirs !
    – Je suis de ceux, reprit Tiercelet, qui ont vu avec plaisir les fèvres 15 nous ravir la besogne avec les harnois plains 16 où peu à peu les mailles disparaissaient, ne formant plus que l’appoint de l’armure et garantissant seulement les jointures… Je me suis ébaudi de voir maître Gauvain maudire cette adversité… sans songer que j’en souffrirais davantage que lui !… Oui, je me suis réjoui qu’il perde tous ses chalands… ou presque, car il recevait encore de petits hobereaux qui demeuraient fidèles au tissu de mailles, arguant qu’il était plus souple – et c’est vrai – que les plates.
    Tristan cessa de marcher.
    – On se meut bien mieux dans les mailles que dans une coquille de fer.
    Tiercelet parut insensible à cette approbation.
    – Pour maintenir ses bénéfices, maître Gauvain haussa ses prix… et perdit tous ses

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