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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ablutions auxquelles on y procédait devinssent une liturgie copiée sur celle des Anciens, que pour troubler les hommes admis à y pénétrer.
    À peine affranchi de ses appréhensions, et tout en s’approchant du bord de la piscine, Tristan vit une cassolette pareille à une tiare, d’où s’exhalait un encens léger, bleu pâle et sinueux puis, disposés sur un plateau de bois, des ciseaux, un rasoir à manche d’or et une fiole à long col contenant – il la déboucha – une huile aromatique. Il aperçut, au creux d’une patène d’argent, une boule de savon, grosse et vermillonnée comme une pomme.
    « Où ai-je mis les pieds ? Que me veut-on ? »
    Il y avait, dans la disposition des accessoires de toilette, compléments des langueurs et voluptés humaines, une volonté subtile, mais affirmée, de lui faire oublier les inconvénients du reclusoir où Tiercelet l’avait rejoint. Devait-il en profiter ou crier qu’on le laissât partir maintenant ?
    Il demeura immobile, hésitant sur la façon de « prendre les choses », enivré par la senteur du savon – myrrhe et menthe, sans doute – ; par celle de cette eau diasprée où se reflétait son corps ; par celle, également, de cette huile fleurant le cinnamome : toutes les blandices de l’odorat semblaient avoir été réunies pour le captiver ; or, loin d’assoupir sa vigilance ainsi qu’on le souhaitait peut-être, elles lui firent songer aux douceurs dont s’étaient délectés les Francs d’Orient avec l’approbation d’un clergé dissolu. Gangrenées au cours des ans, ces jouissances avaient inculqué à tous ces pécheurs un goût immodéré de la luxure. Et c’était cette impudicité qui, davantage que les discordes et affrontements des grands seigneurs, pouvait être tenue pour responsable de la perte de la Terre Sainte.
    « Te fizès pas à las aygos mortos, sou las pus fortos ! (1) 44  »
    Oui, au lieu d’altérer sa méfiance, le caractère singulier de ces bains dignes d’un palais, l’affermissait ; plutôt que de le conforter, ces splendeurs lumineuses ajoutaient à sa stupéfaction une amère déconvenue : ce gynécée était un piège ; après avoir été traité ainsi qu’un malandrin, il ne pouvait, d’un coup, jouir des égards prodigués aux rois et aux princes !
    Se sentant épié, il se détourna brusquement. Son regard se heurta aux yeux blancs de la déesse. Empoignant alors une torchère à trois branches, il s’approcha du miroir que son haleine ternit fugacement. D’une épée, il eût décidé : « Elle est mauvaise », car plus l’éclat d’une lame amatie par un souffle était lent à revenir, meilleur en était l’acier. Mais il était bien loin des harnois de guerre, et son épée, sa ceinture d’armes et ses vêtements de fer appartenaient à un autre… à moins qu’un de ses compagnons – Guillonnet de Salbris ou Thomas d’Orgeville – n’en eût pris soin.
    « Avec une tête pareille, je sèmerais l’effroi dans un troupeau de boucs ! »
    Ses cheveux touchaient ses épaules ; sa barbe tricheuse grattait ses joues et démangeait son cou plus que d’ordinaire, maintenant qu’il la voyait. Ses yeux, bleu clair, semblaient s’être as sombris. De sa paume, il dissipa la buée qu’il avait de nouveau répandue devant lui. Son visage affleura l’acier. « Hideux ! Je suis hideux ! » Après l’admiration dédiée à la nudité de pierre, il subissait l’horreur de sa personne et, agacé, se détournait encore. Non, il ne pouvait se méprendre une seconde fois ! Ce n’était pas la statue qui l’observait avec cette insistance désagréable. Il existait quelque part une embrasure minuscule par laquelle on le surveillait. Quant à la musique, maintenant suave et comme veloutée, il l’avait oubliée, bien qu’apparemment elle n’eût jamais cessé de bruire et de tinter. Ses accents devenaient pressants ; elle semblait gaiement lui enjoindre de mettre un terme à son incertitude pour s’ablutionner, se raser, redevenir un prud’homme. Et pourquoi, sinon pour quitter ces lieux après y avoir reçu de légitimes excuses.
    Il s’agenouilla, toucha l’eau de l’index, puis y plongea la main jusqu’au poignet, heureux de le sentir serré dans un bracelet tiède et comme immatériel. Alors seulement, il eut hâte de se délivrer de ses heuses et de ses vêtements pour s’enfoncer benoîtement dans le bain, humant avec délices les vapeurs légères dont

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