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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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gravement l’orgueil de cette dame et s’en trouverait à ce point châtié ! Deux mois et demi d’affolante inertie entre des murs lugubres. Par le seul attouchement des doigts, il connaissait le grain serré de leurs pierres et celui, moins âpre, de l’indestructible mortier de chaux qui les liait. Allons, sa geôlière avait fini par comprendre qu’il était d’une autre espèce que certains béjaunes ! Il allait être gracié avec des sourires, des regrets, des souhaits hypocrites…
    Soudainement tirée, une portière de velours gris révéla un huis de chêne sombre aux panneaux soigneusement sculptés dont l’un, sur lequel tombait un rai de lumière passant par une baie à peine plus large qu’une archère, figurait la Madeleine, impudiquement vêtue, prosternée aux pieds de Jésus.
    – Entrez, dit le guide en désignant le verrou.
    Tristan leva la clenche hors de son mentonnet.
    La porte se rabattit sur lui. Immobile, attentif, il guetta un craquement qui ne se produisit pas : le damoiseau désarmé s’éloignait sans l’avoir enfermé.
    Il fit front.
    * * *
    Il se trouvait dans une pièce sans fenêtre, profusément illuminée par les flammes de quatre torchères et les clartés d’un dôme formé de morceaux de verres colorés, enchâssés, tels ceux d’un vitrail, dans une armature de plomb. De hautes boiseries revêtaient les murs. Au centre, affleurant les dalles de terre cuite, carrées, rougies et vernies, miroitait une piscine constituée dans son pourtour et sa cavité, d’un marbre de la Langue d’Oc appelé cervelas  : de couleur pourpre, jaspé de gris et de rose, il composait le pavement du tinel 17 de Castelreng. Long d’une toise à peine, large de quatre pieds, le bassin venait d’être empli d’une eau fumante, odorante. Derrière, proche d’un dressoir où luisaient des cruchons et des orfèvreries, un miroir d’acier de la taille d’un grand pavois ajoutait ses scintillements à ceux de cette onde immobile dans laquelle se dédoublaient et dissolvaient les feux d’or des flambeaux et les chatoiements de la coupole.
    Avançant d’un pas, Tristan aperçut à sa dextre une statue de femme grandeur nature. De ses mains écartées aux fins doigts mutilés, elle semblait lui présenter une serviette ample, immaculée, d’une texture pareille à de la neige fraîche. Il tira sur l’étoffe et la lâcha, stupéfait : du front jusqu’aux orteils, la déesse était nue.
    Il savait qu’il avait existé, dans les temples païens d’Athènes et de Rome, des créatures de cette espèce, mais c’était la première fois qu’il en découvrait une. Jusque-là, les femmes qu’il avait vues, dévêtues, aux tympans des églises et des cathédrales, étaient laides, sinon repoussantes. Ces damnées avaient des poitrines pareilles à des escarcelles vides, sous lesquelles émergeaient les hideux cerceaux de la carcasse. Leurs ventres d’affamées, striés de plis profonds, leurs cuisses maigres, sarmenteuses ; leurs potrons mous, dégagés çà et là de la multitude convulsive où elles s’enlisaient, semblaient avoir été ciselés dans la pierre pour détourner les passants des plaisirs sensuels. À en croire les dévots imagiers, l’enfer était un immense et frénétique bordeau hanté de ribaudes abjectes.
    Mais cette déité-là, qu’elle était belle !
    Tristan se pencha vers le torse effleuré de clartés doucereuses, séduit, émerveillé par les seins fermes aux tétins dardés ; par le ventre pâle, bellement rond sous le petit sceau du nombril, admirant les vallonnements qui le reliaient aux cuisses et caressant du regard cette chair de marbre qui peut-être approchait en tiédeur une vraie.
    Brusquement, il crut qu ’elle l’observait. Relevant la tête, il considéra ce visage couronné de cheveux onduleux retenus par une bandelette. Le front en était lisse et le nez mince et droit ; les yeux obliques semblaient, plus encore que la bouche mince, entre-close, se rire de son ébahissement.
    « Qui es-tu ? Quelle divinité ? Minerve ? Vénus ? Diane ? Junon ? »
    Qu’importait ! Eloquente en sa magnificence, cette femme d’antan, sûre de sa domination sur les sens et les esprits, attendait – ses bras offerts le prouvaient – un amour immense, fait de ténèbres et de lueurs, de brûlures et de froidures, comme seules les déesses en pouvaient susciter. Elle avait été placée sur le seuil de ce lieu étrange moins pour que les

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