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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ses narines, ses épaules, sa poitrine étaient toutes picotées. Il se savonna rudement puis cessa, prenant plaisir à se sentir enseveli sous une mousse épaisse, écume des jours révolus. Il en sortit ses mains, ses pieds ensuite afin d’en tailler les ongles. Les musiciens continuaient d’instiller dans les clapotements leur mélodie doucereuse. Il existait une connivence subtile entre cette eau qui roulait sur son corps et ces gouttes sonores dont, par-delà ses oreilles, son esprit se trouvait comme éclaboussé. Quand il se nettoya le ventre, les sons devinrent plus vifs, plus drus, jusqu’à donner à la trame harmonique l’apparence d’un ricanement.
    Il s’extirpa de la cuve et commença de se sécher, puis s’immobilisa, courroucé : un silence l’enveloppait, plus éloquent et malicieux que les vrilles de la flûte et les trépignations soudaines du tambour. Cédant à un mouvement de pudicité qui ne pouvait qu’augmenter sa colère, il noua la serviette autour de ses hanches et s’approcha du miroir.
    À coups de ciseaux rapides, il réduisit sa barbe autant qu’il le pouvait. Il rasa ce qu’il en restait ainsi que ses moustaches.
    « Je me reconnais enfin ! », songea-t-il en taillant sa chevelure malaisément, à l’écuelle, tout en piétinant un tapis de poils et de cheveux bruns dont certains lui collaient, par touffes, à la peau.
    La musique semblait s’être tue à jamais. Il la regretta : elle avait allégé, adouci ses pensées, augmenté son plaisir de se sentir devenir propre. Il devait maintenant abandonner cet endroit. La campagne, le ciel, les rivières, les arbres illuminaient sa mémoire.
    Il crut entendre des chuchotements. C’était sans doute un effet du silence profond qui l’engonçait, nu et comme destiné à un sacrifice.
    « Suis-je sorti d’une piscine probatique ? »
    Une poussée de fièvre l’envahit :
    « Il te faut partir… Tant pis pour Tiercelet. »
    Il se baissait pour saisir ses bas-de-chausses déchirés quand deux panneaux de bois s’écartèrent, presque devant lui, livrant à ses regards une chambre spacieuse.
    Et une femme.
    * * *
    Il avait, un moment, évoqué l’Orient et ses lascivités pernicieuses. Il crut s’y trouver pour de bon.
    Les murs de cet asile tout aussi tiède et insolite que le tepidarium somptueux avaient été revêtus de tentures légères, azurées, sauf un, émaillé de petits miroirs de toutes formes, disposés comme une mosaïque lumineuse ; ils réfléchissaient, en les craquelant, la femme et les meubles précieux qui l’entouraient : un coffre de cuir cordouan vaste comme un cercueil, un dressoir miroitant d’ustensiles d’argent dont une étagère supportait une coupe d’émeraude qu’on eût prise pour le saint Graal en la voyant exposée à Paris, dans le chœur de Notre-Dame. Et un lit : un amoncellement de coussins de velours et de satanin aux couleurs et broderies légères au-dessus duquel s’éployait un dais de soie si blanc qu’il prenait çà et là des brillances nacrées.
    Tristan baissa les yeux : il foulait un tapis épais, noir, dont les guipures figuraient des colombes et des rouges-gorges. Au milieu, sur une table, fumait une gargoulette dont le col oblong, prolongé d’un gland d’or, suggérait un organe mâle.
    « Où suis-je tombé ? »
    Promptement le captif entrevit une aiguière, un poignard, un cadenas deux gobelets, un drageoir d’or en forme d’échauguette, tout proche d’une corbeille d’osier contenant quelques poignées de craquelins pétris de manière obscène. On s’empiffrait de ces friandises lors de certains festins ; saupoudrées d’une mixtion apprêtée par un magicien, elles changeaient un homme en Priape avant, s’il déplaisait, de l’occire en douceur. Bien qu’il eût grand faim, il détourna son regard des gâteaux pour le reporter aux quatre coins de cette pièce aux fenêtres inapparentes, tandis que les panneaux se rejoignaient dans son dos.
    « Le nouveau piège ! »
    Un piège fabuleux, cette fois ; un refuge moelleux, moins conçu pour le sommeil ou le repos que pour des fêtes d’amour secrètes. Aux richesses assemblées en ce lieu répondait comme un écho de chair nonchalante, magnifiquement révélée, cette femme qui l’observait avec une telle intensité d’expression qu’il prit enfin conscience d’être nu devant elle, comme livré à ses désirs sinon à ses volontés. Le regard de cristal bleu dont il

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