Les amants de Brignais
ou, du moins le voulait-il ainsi… Cette buée qui commençait à ruisseler dans le bassinet…
« Il faut absolument que je ne sente rien… Je souffrirai après. »
Il avait affaire à un gars dont c’était le bonheur de meurtrir et de cogner. Cette saveur de sang dans sa bouche qui commençait à s’assécher… Dieu ! Comme il se sentait seul malgré Oriabel, Tiercelet et Doublet. Enfermé dans son fer comme dans un cercueil. Il renonçait peu à peu à un châtiment exemplaire d’Héliot : exemplaire par sa promptitude et sa beauté. Car il y avait, parfois, de la beauté dans le geste d’occire. Il entrait dans l’incertitude. Il naviguait sur les graviers et les cailloux. Les feux, autour de lui, découpaient des visages et eux aussi semblaient mille et mille pierres juxtaposées les unes aux autres. Il n’était pas fatigué… Il venait de gauchir 86 un autre coup mortel… Sans quoi… Où en était-il ?… Dans ce carré, aucun refuge. Il soulevait sa hache. Hésitait… Danse d’Héliot. Rires de ses partisans : Bagerant, Thillebort… D’autres… Jamais, ah ! Non, jamais il ne succomberait devant ces monstres. C’était à Héliot de périr !
Il fendit par deux fois de la nuit et du vide. Héliot ne reculait plus. Apprêtait-il un taillant dru et inévitable ?
« Tristan… Tu vas meurtrir ce drôle ! »
Il avait un immense appétit de chair saignante. En tuant ce Goddon, il blesserait Aymery, Cresway, Daalain… et quelques autres. Il humilierait Bagerant, Thillebort et ce millier de malandrins rieurs dont un lançait :
– Nous, on ne se fend que la goule !
Héliot, comme un gros oiseau miroitant avec son bec de fer en forme d’entonnoir.
« Il faut, l’Anglais, que tu meures ! » Mourir ! Mourir !
Il l’assaillit de trop loin. Son arme vrombit et n’atteignit rien. Rires. « Eh bien, riez !… Vous pleurerez bientôt ! » La sueur commençait à brûler ses paupières. Les lueurs des flambeaux assemblées dans ses larmes devenaient, sur ses pupilles, une espèce de tissu diapré où se mouvait une enluminure d’ombre et d’argent : Héliot. Il finirait par l’abattre !
« Accable-le ! Repousse-le ! Tranche-le !… Vas-y ! »
Joie ! Plaisir ! Exultation ! Il venait de fendre la pansière de l’Anglais. Héliot vacillait. Il y avait un bouillonnement dans la foule : son champion branlait avant de choir sur son cul.
« Point de pitié pour ce scorpion ! »
Héliot prévit le geste et roula. Tristan s’apprêtait à redoubler son assaut quand Angilbert surgit, occultant l’Anglais qui se releva.
« Moine déloyal ! Je devrais t’occire aussi ! »
Tristan distinguait Héliot bien mieux. Sa fureur aggravée par le coup sur la tête, cédait la place à la bonace, aux rites et habitudes du combat. Les leçons d’autrefois lui revenaient à l’esprit. Reculer, danser, feindre de porter un coup, mais éviter d’accomplir, du moins jusqu’à son terme, la manœuvre éventée par l’adversaire. Le titiller par des va-et-vient d’une arme tantôt trop haute, tantôt basse et presque au ras de la terre. Mais s’assurer, ce faisant, une parfaite prise, car le manche glissait sous le cuir des gantelets imbibés de sueur.
Héliot se recula pour affermir un coup.
À nouveau, le tranchant du malandrin écorcha la cubitière dextre.
« Je n’ai pas lâché ma doloire… Je n’ai pas mal !… Menteur : tu as le bras tout engourdi !… Non ! Non ! Je n’ai pas mal !… Il me tue ! »
Une taillade ! Il l’avait pressentie mais tombait en voulant s’y soustraire.
La lune fulgurante de la doloire adverse chut à un doigt d’une épaule vulnérable. Touchant le sol, son manche se rompit aux deux tiers du fer.
Crevant la clameur désespérée qui montait de la truandaille, Tristan perçut le cri d’Héliot, furibond.
Il fut debout, malgré le poids de l’armure, en un bond qui ressortissait au miracle.
Héliot avait voulu l’en empêcher d’un coup de pied, et il s’injuria de n’avoir pas tenté de rompre cette jambe de fer que le malandrin lui avait en quelque sorte offerte.
Face à face, mais cette fois, l’Anglais perdait tout avantage.
On cria. Voix de femme… Oriabel. Ce ne pouvait être dame Mathilde.
Tristan frappa.
« Las !… Il sait eschever 87 ce démon ! »
Héliot, désormais, n’essaierait plus de l’abattre ainsi qu’un soliveau. Il attendrait… Eh bien, non : la fureur, chez
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