Les amants de Brignais
clou dans un bois vermoulu.
« Je dois l’occire… Quelques feintes assorties de taillants et il mourra… Je suis le meilleur. C’est démembré, saligot, qu’on te mettra en terre !… Tu recules ? Je frappe et ne sens pas le poids de ma doloire !… Tu t’effraies à bon droit ! Je te trépasserai ! »
Tristan sentait déferler jusqu’au tréfonds de son corps les vagues d’une certitude qu’il voulut renforcer en frappant de biais, cette fois, sur le bras dextre. L’Anglais imita son esquive : prompt, il s’effaça. La hache s’enfonça dans le vide, si violem ment qu’elle faillit échapper aux mains qui la serraient. Les bras gourds et le cœur gros, Tristan la ramena sur sa poitrine.
– Hâtez-vous ! cria Aymery. Qu’attends-tu, Héliot ? Tu te montres plus hardi devant les femmes !… Pense à Mathilde ! Elle prie pour l’autre !
Les routiers s’étaient tus. Leurs souffles et murmures composaient une énorme rumeur semblable aux prémices d’un orage. Il fallait descendre la pente à reculons, trouver des ténèbres et s’y réfugier pour pré parer cinq ou six fendants terribles… Oui, lui, Castelreng, il reculait encore et devinait, ce faisant, la joie muette que le Goddon éprouvait à lentement le suivre. Sa doloire maintenue en travers de son torse, Héliot devait avoir le visage gonflé comme une vessie pleine de vent. Ruisseler de sueur… Lui, Tristan, le temps ne le pressait pas. Dans ce jeu malfaisant, il devait assurer chaque coup. Au diable l’outrecuidance…
« Hé là ! »
Il s’était dérobé trop tard ! La hache de l’Anglais avait frappé sa cubitière dextre sans en pénétrer le fer.
« Je veux l’atteindre aux bras et c’est lui qui m’y touche ! »
Il éprouvait le sentiment de s’éveiller. Une sorte de sommeil fait de sérénité, de confiance et d’abjection, surtout, envers cet écuyer infâme. Il en subissait même l’effroi physique : son coude, qui peut-être n’avait rien, semblait saigner, enfler. Sous ses paupières chaudes, battantes, et à travers les fentes de sa « vue », il prit tout à coup conscience qu’Héliot se reculait pour affermir un nouvel assaut.
Il devait le devancer, le frapper n’importe où, l’entamer… le meurtrir, fendre s’il le pouvait ainsi qu’un broussin d’arbre, cette coiffe de fer…
– Houm !
Un cri dans son bassinet. Inutile. Ses muscles avaient parfaitement épousé les articulations de sa coquille de fer, mais l’acier d’Héliot était venu repousser le jaillissement du sien.
« Il sait, maintenant, que j’en veux à ses bras ! »
Héliot attaqua encore. Mille hurlements le soutinrent, s’enflèrent, et des mains, des armes entrechoquées firent entendre leur crépitement joyeux. Un, deux, trois coups ; inutiles, mais la vigueur du malandrin semblait inépuisable.
« Il ne m’est pas inférieur. Il m’est même… »
La pensée de Tristan s’éteignit. Partie du sommet de son bassinet, une douleur fulgura sous son front. Il écarquilla les yeux à la recherche d’une lumière, d’un équilibre, mais un soleil terrible embrasait sa cervelle… Aveugle !… Aveugle ?… Non… Il voyait ! Il fallait qu’il vît. Qu’il vive ! Les cris, à l’entour, s’engouffraient dans sa tête et le glas consécutif à la charge d’Héliot continuait d’y sonner. Il n’était pas tombé. Il titubait encore. Il avait reculé…
D’instinct, levant son arme à la désespérade, il protégea sa tête et reçut un taillant sur son épaulière dextre dont le fer abîmé lui entra dans les chairs.
« Je saigne !… J’en suis certain !… La coupure est profonde… Il faut… »
Que fallait-il, sinon reculer encore et se faire un grand manteau de ténèbres.
Bagerant, tout proche. Et ce commentaire à ses compères :
– Je vous avais bien dit qu’Héliot ne se laisserait pas seigneurier (288) !
« Vivre ! Merdaille, ce que j’ai mal… Le bourras n’a servi à rien. Cette lame est aussi tranchante qu’un rasoir. Je dois occire Héliot ! Je le dois ! »
Pour cela…
– Prends ça !
La riposte de Tristan, dérisoire, provoqua des rires et des quolibets :
– C’est une femme !
– Un puceau !
– Héliot l’enfourchera juste après sa Mathilde !
– Hé, Castelreng ? Sais-tu la prière des morts ?
Surtout ne pas céder à la rage ! Refuser la malefortune !
Il se sentait mieux… Sa plaie ne le cuisait plus
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