Les amants de Brignais
redoutait le contraire.
– Il suffit ! grommela le brèche-dent. Hé, Doublet, viens voir !
Le routier s’approcha, la mine triste, un bassinet serré sous une aisselle, une main posée sur le manche du couteau qu’il portait de biais, près de la boucle de sa ceinture.
– Assure-toi avec moi que le harnois de Castelreng lui tient au corps.
Tandis qu’ils vérifiaient les attaches des plates 85 , Tiercelet marmonna :
– Tu dois l’occire !… Je ne sais pas bien encore ce que tu vaux, mais je connais Héliot !… Ne crains pas de reculer même si les gars te prennent pour un couard… Te sens-tu à l’aise dans ces fers ?
– Oui.
– Il se peut que cette armure vienne de Paris. Quand j’y étais, je faisais visite au quartier de la Porte Saint-Lazare. Il y avait là moult armuriers, ciseleurs d’éperons, haulmiers, et une trentaine de fourbisseurs. J’allais leur louer la légèreté des mailles… Et c’est là que je veux en venir. N’as-tu rien remarqué, Doublet, sur Héliot ?
– Il porte une cuirasse et une dossière, et ses bras sont couverts d’anneaux que, pour ma part, je trouve tout aussi bons pour protéger les chairs que tout ce fer qui m’enveloppe à la bataille.
– Je te suis reconnaissant de parler ainsi… Mais est-ce tout ?
– Je crois…
– Hé bien, tu n’as rien vu !… Pour qu’un tissu de mailles résiste aux fers tranchants, il convient que les anneaux soient alignés de la senestre à la dextre… Or, Héliot a des manches dont les mailles ont été ajustées de haut en bas… Le moindre coup violent les fendra et la chair, en dessous, cédera comme un bois tendre. Il convient de l’atteindre aux bras… Dis-toi cela sans trêve, Sang-Bouillant !
Doublet prit à ses pieds le bassinet qu’il y avait déposé, le temps de vérifier les attaches du harnois :
– C’est le tien. Nul ne peut y trouver à redire quand Garcie du Châtel s’est moqué de ta négligence : j’ai couru te le chercher ! Je te l’apportais.
Regardant près de lui Oriabel attentive, les yeux mouillés et la bouche pincée, Tristan fut pris d’un désespoir oppressant. Son cœur semblait sur le point d’éclater. Quelque chose d’âcre emplit sa gorge : du fiel qu’il ravala pour cacher son émoi à ces deux hommes, des amis sûrs dans le cloaque de Brignais. Il eût aimé demander à Doublet comment il était, lui, tombé dans l’obédience des routiers ; quelqu’un, Bagerant, l’en empêcha :
– Alors, s’écria-t-il, êtes-vous préparés ? Castelreng, tu me fais l’effet d’une donzelle qui s’habille !
Il était nu-tête. Tout proche, aidé par Espiote, Héliot coiffait son bassinet. L’écuyer avait préféré conserver son gorgerin plutôt que d’accepter celui de son compère. Tristan s’en félicita : l’air devait passer entre les deux pièces. Sans doute pourrait-il les disjoindre.
– Admire la belle tête de fer d’Héliot, Castelreng. Jamais une épée ne l’a égratignée… J’espère que ta coiffe est solide !… Bientôt, tu ne seras pas si fendant !
– Tais-toi, Tristan, conseilla Tiercelet. Il va tenter de t’exciter.
– Je n’aime point verser le sang, mais Héliot va saigner !
– Tu dois l’occire ! dit Doublet. Tu ne vengeras pas que des femmes malheureuses : tu vengeras des morts et des martyrs vivants… Tu ne portes guère de bourras, je présume, entre le fer et la peau, mais cette armure est solide… Tiens, mets ton bassinet… La gor gière de mailles est en parfait état… Hein, Tiercelet ? On va te l’accrocher solidement… Je prierai sans trêve pour ta victoire. Ne te soucie pas d’Oriabel : nous sommes là.
– Pourquoi fais-tu cela ? Tu ne me connais pas.
Les yeux noirs de Doublet ne rougissaient point aux flammes. Il frotta ses joues rases et lissa ses cheveux où le vent s’empêtrait :
– Je ne suis pas venu céans de mon plein gré, mais une fois qu’on s’est fourvoyé dans la sociale, il est malaisé d’en sortir !… J’attends. Un jour, je trouverai une ouverture sur le monde des gens de bonne volonté.
– Héliot est un Goddon, dit Tiercelet pour ajouter un argument supplémentaire à la fureur de Tristan. Tous les routiers présents vont l’encourager. Tu n’es pour eux qu’un étranger suspect.
– Je vaincrai !… Ils m’ont appris la cruauté ? Au détriment de ce goujat, je vais en faire un usage terrible !
***
Cent
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