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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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masse des routiers groupés autour de Bagerant le choisit pour première victime. Ils se résignèrent dans une attente qui fut trouée par un pet enchâssé de rires silencieux.
    L’aurore, enfin, moucheta le ciel vers Saint-Genis ; il fit plus clair et un merle siffla tandis qu’un reflet lointain faisait éclore, à l’extrémité de la bannière du comte de la Marche, une fleur de lis d’argent. En émergeant du limon nocturne – comme un dormeur reprend ses aises avant même de se lever – le camp reprit ses dimensions. Tristan les trouva immenses, interminables ; sa confiance éprouvée recouvra quelque aplomb : des hommes trépasseraient, percés dans leur sommeil, mais des milliers auraient le temps de se ressaisir, de s’armer, de combattre. Il voyait maintenant, jonchant les herbes, la grenaille de la rosée. Son armure elle-même en était constellée.
    Un hululement ondoya. Ce n’était ni le cri de l’orfraie ni celui du grand-duc. Tout près, un homme appartenant au Bâtard de Monsac y répondit en soufflant dans ses mains jointes en boule.
    – Prêts ? chuchota Naudon de Bagerant.
    – Mais… mais, bredouilla Thomas de Nadaillac dont la tête hideuse agitait un camail de mailles noires. Mais le Petit-Meschin ?
    – On s’en passe, vois-tu ! Courez, les gars ! Courez !… Vendangez-moi toutes ces vies !… Allez ! Allez !… À la mort ! À la mort !
    Une main de fer tomba sur l’épaulière de Tristan.
    – Je sais qu’il t’en coûte d’avoir à m’accompagner… Je te dispense de fournir des coups autrement que pour te défendre. Ils seront suffisants, crois-moi !
    Tristan suivit Bagerant. Ils marchaient. Autour d’eux les routiers déferlaient vers le camp où une trompe mugissait, infatigable. Sa plainte semblait désespérée.
    – Tire ton épée ! Clos ta ventaille ! Tu pourrais recevoir un carreau ou une sagette à la face… Veux-tu trépasser bêtement ?… As-tu oublié ton épouse ?
    Dans le cantonnement livré à la terreur, au courroux, à la rage, la mort se répandait au gré des malandrins. Tout ce qui s’y passait ressemblait à ce que Tristan n’avait cessé d’imaginer lors d’une nuit qui s’achevait dans une écume rouge – brume, sang, soleil – et dans un tumulte que seuls perçaient les meuglements des cors et les stridences des trompettes. Çà et là, des fumées montaient et des flammes grondaient entre les ridelles des charrettes d’avitaillement et de fourrage. Cris, galops des chevaux effrayés par une liberté terrifiante, appels furieux, éperdus ; crépi tements ; il connaissait ce vacarme : c’était celui de Maupertuis, mais en Poitou, la ruée meurtrière était attendue sinon espérée par chacun des adversaires ; on s’y était préparé corps et âme. Dans cette plaine des Aiguiers, la ruse avait faussé l’horrible jeu de mort.
    Bagerant hurla, lançant presque un cri d’armes :
    – Montons sur cette montjoie 102  !
    Sa Floberge au poing, Tristan suivit le routier sur le monticule pierreux qui dominait d’une toise à peine l’étendue des champs dans lesquels les guerriers de Bourbon s’étaient arrêtés. Où que leur vue portât, ils découvraient des hommes accablés de stupeur et d’effroi. Les uns – qui peut-être étaient des capitaines – se battaient en chemise. D’autres n’avaient eu que le temps d’endosser leur cuirasse ou leur haubergeon. D’autres encore, des piétons accoutumés à dormir tout armés, maniaient farouchement la guisarme, la goyarde, le vouge et la vergette (315) . Ils étaient cependant trop peu nombreux, et la meute qui les entourait finissait par avoir raison de leur vaillance. Dix ou douze seigneurs essayaient vainement de se jucher sur leur cheval pour commander quelque chose – mais quoi ? Combattre ainsi constituait une lourde faute. Ils furent assaillis, tous périrent ; leurs vainqueurs ayant enfourché les coursiers galopèrent entre les abris de toute espèce : tentes, chariots, tables, sièges, mangeoires, pour y semer la terreur et la mort. Bagerant releva sa ventaille, n’offrant ainsi à Tristan que ses yeux et son nez – sa gorgière cachant sa bouche.
    – Tu vois comme l’affaire était simple ? Ils n’avaient disposé que dix hommes de guet sur une longueur de six cents toises… Des gars qui voyaient mal et semblaient avoir les oreilles bouchées ! Les nôtres sont meilleurs !
    Tristan découvrit son visage :
    – Tes champions

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