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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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malandrins semblaient taillés dans du velours.
    De gros arbres apparurent, ébroussés au vent. On s’arrêta entre leurs troncs énormes. Garcie du Châtel, approuvé par Bagerant, désigna deux coureurs. Ils partirent cent toises en avant et revinrent, le sourire à la bouche comme une fleur cueillie dans la mousse noire des herbes piquetées de cailloux. Et la procession recommença, furtive, animée par l’envie et le plaisir d’occire et porteuse d’une seule prière : « Seigneur ! Faites donc qu’ils aient eschargueté ce cantonnement et faites qu’un de ces guetteurs nous voie et crie À l’arme !… Faites qu’ils aient accroché des gobelets, des grelots et des chopines à ces ronces, là-bas… Ou qu’ils aient tendu des cordes à ras de terre ! » Tristan voyait, toutes proches à présent, les tentes, les charrettes dispersées alors qu’il eût fallu en ceindre tout le camp, ou néanmoins essayer. Dans la brume des feux mourants vaguaient des fantômes de fer, le vouge ou la guisarme à l’épaule, mais si peu que c’en était désespérant : « Ils seront égorgés avant d’avertir leurs compères… La plupart seront occis sans arme à la main, et ce sera partout l’épouvantement ! » Que faire pour ces hommes ? Rien. Il fallait suivre le flux mortel qui poussait vers eux Bagerant et ses meutes, et plus loin, Garcie du Châtel et les siennes. Par moments, un court rocher sortait du sol ou plusieurs, pareils à des tessons de poteries. Des archers, des frondeurs butaient dessus, mais nul juron ne perçait leur bouche.
    La marche en avant s’alentit sur un geste du Bâtard de Monsac. Un arrêt brutal se produisit, et Tristan enragea de n’entendre aucun bruit. À sa senestre et à portée d’arbalète, les guet teurs poursuivaient leur marche insoucieuse. Certains, du picot de leur arme, tisonnaient un feu déclinant puis se dissolvaient dans les ténèbres pour réapparaître entre deux tentes éclairées du dedans ou auprès d’un autre brasier. Cette sérénité, ce ciel avare, l’indifférence des chefs qui, apparemment, avaient jugé inutile une inspection en l’occur rence obligatoire, tout, jusqu’au silence des malandrins qui maintenant s’accroupissaient ou s’asseyaient sur le sol, exaspérait Tristan. Bagerant l’invita à les imiter, ce qu’il fit en se mordant les lèvres. Bien que le routier l’eût ternie et maculée de terre, ceux d’en face ne pouvaient-ils apercevoir un peu de son armure ?
    Un rire, puis un autre filtrèrent de sous un pavillon ; ensuite, le silence parut plus lourd qu’auparavant.
    – Quand ?
    – Pas avant que l’aube ne soit prête à crever… comme eux.
    Tristan se sentit dévisagé par un regard qui ne cillait pas et qui, bien qu’il n’en vît que la double lueur, exigeait qu’il se tînt coi.
    « Qui lancera ses meutes le premier ? Bagerant ou Garcie du Châtel ? Et que fait Aymery à Janicu, au Bonnet ou au diable vert ? Où est le Petit-Meschin ? »
    –  Si nous devons reculer, Castelreng, il fera clair. Nous ferons semblant de fuir jusqu’à notre motte. Nos frondeurs et nos archers s’y régaleront !
    Ils cessèrent de parler bien que Tristan eût souhaité prolonger cet échange dans l’espoir insensé qu’il fût perçu par un guetteur à l’ouïe particulièrement exercée. La hargne de Bagerant, il le sentait, s’était détournée de lui pour se déployer au-dessus de ces milliers de justiciers allongés sur la plaine. Des lueurs tremblaient sous toutes les tentes – une cinquantaine – ce qui égaya le routier :
    – Ils se coucheront quand nous attaquerons !… Tu peux t’étendre quiètement. S’il y en avait, tu pourrais essayer de compter les étoiles. C’est ce que je faisais dans mon enfance prime lorsque mon père, pour me punir d’un petit méfait, m’envoyait dormir dans la basse-cour !… J’avais treize ans quand une chambrière est venue m’y rejoindre…
    De nouveaux rires éclaboussèrent le silence. Le comte de la Marche fêtait sa victoire sans même l’avoir obtenue. Une voix grêle s’éleva :
    Cœur de femme est tôt tourné
    Quand elle va percevant
    Qu’elle est finement chérie ;
    Lors montre sa seigneurie
    Et plus souvent fait paroir
    Son dangier (314) et son pouvoir.
    –  Ce nicaise, murmura Bagerant, ignore quel danger va lui rompre la gorge. Mais je parle trop : des gars se retournent…
    –  Un chevalier, n’en doutez pas, doit férir

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