Les amants de Brignais
plus un combat à outrance mais une mêlée vermeille entre gens titubants. « Je n’en peux plus… Mal aux bras et au cœur. Bon sang, trois d’entre eux me contournent… Bagerant ! Bagerant !… À l’aide !… Tiercelet… Près de toi… Sauve-la ! »
Une comète foudroyante au-dessus de son bassinet. Tocsin ! Il chancela, sentit ses genoux ployer, s’agenouilla sous un nou veau coup, devina des clameurs, « Ils frappent, ces capiteux 110 . Ils m’assomment ! »
Il ne vit plus rien. Ne sentit plus rien sinon qu’on l’empoignait et le traînait précipitamment et que quelqu’un hurlait – Salbris peut-être : – Par ici !… Par ici !… Amenez-les ! « Naudon ! Oriabel ! »
Des pétillements d’or hantèrent ses ténèbres. Cheveux d’Oriabel ou criblures d’étoiles.
Desserrant sa dextre douloureuse, il lâcha sa Floberge. Ensuite, il entra dans la paix.
V
Quelque chose de frais piqua plusieurs fois son menton et son cou. Sentant le sang perler, il cilla des paupières et d’une main voulut écarter ce dard cruel de son visage. Ce lui fut impossible : on avait entravé ses poignets.
– Je vous avais bien dit que je l’éveillerais ! triompha, en rengainant sa dague, l’homme qui venait de l’aiguillonner.
Tristan reprit malaisément connaissance. Il essaya le se soulever. Un pied pesa fortement sur son épaulière. Il retomba. Glacé de crainte et de lassitude, il entrevit des visages rieurs.
– Tu n’es pas si haustre (329) , Castelreng, maintenant que tes compères ont disparu !
Dans leurs orbites aux contours bleuis de lassitude, les prunelles de Guillonnet de Salbris, comme fardées, étincelaient d’une flamme sombre. Tristan ne s’y rompa point : une satisfaction certainement meurtrière animait son ancien pair. Elle se doublait d’un plaisir de revanche dont les raisons, certainement antérieures à celle d’une médiocre domination, resteraient sans doute un mystère.
« Les lis ont perdu la bataille. J’en jurerais ! »
Pour qu’il pût se défendre au moins par la parole, il lui fallait être debout.
Il roula sur lui-même et se mit à genoux, lentement et fermement à la fois. Il sentit la semelle de Guillonne peser sur sa nuque, et résista. Le pied pesa davantage le rire du chevalier devint pointu, supérieur – ou plutôt victorieux. « Ta seule victoire en ce jour, maraud ! » Il dut subir une fois encore la force de son vainqueur, et se dit, pour se consoler de cette humiliation, qu’il n’était pas certain que Guillonnet l’eût capturé. Ils étaient sept autour de lui, sept qui pourraient se gober de l’avoir assommé.
– Bon sang, Castelreng ! Quel bonheur pour moi de te voir ainsi !… Quand nous t’avons perdu de vue en Bourgogne, après cette soirée chez Jean III de Chalon-Auxerre, j’ai confié à Orgeville : « Ces gens des pays d’Oc ont la langue des vipères. Ils sont aussi pourris que leurs aïeux patarins ! Il s’est peut-être fait routier pour amasser une fortune, lui qui est de pauvre apparence ! » Et te voilà : seul petit hobereau de nos prises de guerre !
Tristan grimaça, brûlé de douleurs nombreuses. Il était sûr, désormais, que la blessure d’Héliot à l’épaule s’était rouverte. Mal terrible, urticant, moins cependant que ce qu’il éprouvait au tréfonds de son esprit.
– Auxerre, as-tu dit ? Tu as fort bien fait d’en parler. Il faut que nous nous éloignions et que je te dise…
– Non, pas d’éloignement, sans quoi mes compagnons penseront que je suis un traître tout comme toi !
– Allons, ils ont vu, à l’entour de toi, toutes les armures des routes 111 et te savent loyal… comme moi !
– J’ai combattu auprès d’eux cette truanderie à laquelle tu appartiens depuis quelques mois !
– Je n’y appartiens pas. Je n’y ai jamais appartenu… Si j’ai fourni, ce jour, des coups d’épée, c’était pour défendre ma vie !
Tristan s’exprimait posément. S’il s’était battu avec angoisse, il acceptait pour le moment sa male chance d’un cœur tranquille. Il se justifierait d’autant plus aisément que Salbris était le seul témoin de son entrevue avec Jean II.
– Tu te souviens d’Auxerre… Tu te souviens aussi que nous avons souvent chevauché côte à côte sans qu’il n’y ait jamais rien eu entre nous.
– C’est aussi ce que je te reproche !
Que voulait-il dire ? Il s’était toujours
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