Les amants de Brignais
s’opposèrent à la trahison de Marcel et qui eurent part à sa mort : ainsi, la tradition de l’héroïsme de Maillart ne peut-être appuyée sur leur récit.
Je passe aux Chroniques de Saint-Denis. Là, je trouve le nom de Maillart : mais il s’en faut beaucoup qu’il y joue un rôle aussi brillant que dans nos histoires modernes. Je citerai le texte sans en changer le langage :
Le mardi dernier jour du mois de juillet (1358), le Prévôt des Marchands et plusieurs autres à lui alliés, tous armés, allèrent dîner à la Bastille Saint-Denis ; et commanda ledit Prévôt à ceux qui gardaient la porte de ladite Bastille, qu’ils baillassent les clés à Josseran de Mâcon, Trésorier du roi de Navarre, lesquels gardes dirent qu’ils n’en bailleraient nulles : dont le Prévôt fut moult courroucé. Et il y eut riote (357) entre ledit Prévôt et ceux qui gardaient les clés de ladite Bastille, tant que un, appelé Jean Maillart, qui était garde de l’un des quartiers de ladite Ville, de la partie de ladite Bastille, eut nouvelles de ce débat, et pour ce se trait vers ledit Prévôt, et lui dit qu’on ne baillerait vas les clés audit Josseran. Et pour ce, il y eut plusieurs grosses paroles entre ledit Prévôt et Josseran d’une part, et ledit Jean Maillart d’autre part. Et monta ledit Maillart à cheval et prit une bannière du roi de France et commença à crier : « Montjoie Saint-Denis au roi et au duc ! » Et aussi fit ledit Prévôt et sa compagnie, et s’en allèrent vers la Bastille Saint-Antoine ; et ledit Jean Maillart demeura vers les Halles. Et un chevalier appelé Pépin des Essars, qui rien ne savait de ce que Jean Maillart avait fait, prit assez tôt après une bannière de France et criait semblablement… et durant ces choses, ledit Prévôt vint à la Bastille Saint-Antoine, et il y eut riote en ladite Bastille, tant que aucuns qui étaient là coururent sus à Philippe Guissart, lequel se défendit fermement. Toute-fois, il fut tué, et après fut tué ledit Prévôt des marchands, etc.
Dans cette narration, Jean Maillart n’a d’autre mérite que de prendre le parti des gardes de la Porte Saint-Denis qui, sans attendre son arrivée, avaient déjà résisté au Prévôt, et refusaient opiniâtrement de remettre les clés à Josseran de Mâcon ; puis de parcourir quelques rues avec une bannière de France. Mais, après avoir crié en courant « Montjoie Saint-Denis au roi et au duc ! », il demeure vers les Halles, tandis que le Prévôt gagne la Bastille Saint-Antoine, où commence une nouvelle riote dans laquelle Philippe Guissart et lui sont tués, et Maillart ne paraît avoir aucune part au reste de l’action. S’il y contribua, en perchant à soulever le peuple contre Marcel, Pépin des Essars qui, de son côté, faisait la même chose, sans savoir ce que faisait Maillart en doit partager la gloire. Ainsi, les Chroniques de Saint-Denis ne sauraient être regardées, non plus que les deux précédentes, comme la source de la tradition qui l’attribue exclusivement à Maillart. C’est donc à Froissart seul qu’il est redevable de l’honneur que lui font la plupart des historiens modernes, en le peignant comme le libérateur de Paris et le sauveur du royaume (358) . Froissart raconte ainsi les faits.
Celle propre nuit que ce devoit advenir (c’est-à-dire que Marcel devait livrer Paris au roi de Navarre), inspira Dieu aucuns des bourgeois de Paris qui tousjours avoient été de l’accord du Duc ; c’est assavoir, Jehan Maillart, Simon son frère et plusieurs autres, lesquels par inspiration divine, ainsi le doit-on supposer, furent informés que Paris devoit estre couru et destruit. Tantost s’armèrent et firent armer ceulx de leur costé, et réveillèrent (359) secrètement ces nouvelles en plusieurs lieux, pour avoir plus de confortons. Si vindrent… un petit avant mienuit à la porte de Saint-Anthoine, et trouvèrent le Prévost des Marchons, les clefs de la porte en sa main. Si dist Jehan Maillart au Prévost, en le nommant par son nom : Estienne, que faites-vous cy à cette heure ? Le Prévost dist : Jehan, à vous qu’en monte (360) de le savoir ? Je suis cy pour prendre garde à la Ville dont j’ay le gouvernement. Par Dieu, dist Jehan, il n’en va mie ainsi ; ains n’estes icy à ceste heure pour nul bien ; et je vous monstreray, ce dit-il à eux qui estoient emprès luy, comment il tient les clefs de la porte en ses mains,
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