Les amants de Brignais
ruse et d’insolence.
– Je suis Tristan de…
Un coup mal ajusté souleva ses cheveux. Il s’entêta :
– Cesse donc !… Je te dirai…
À nouveau ce vent d’acier, ce cheval écumant, noir, immense ; et ce forcené qui, l’arme haute comme un sceptre, lui tournait autour en s’ébaudissant de son effroi !
Impossible de gagner le couvert des arbres. Tourner encore… Montrer son dos, c’était périr. Tiercelet avait raison. Ce malandrin connaissait les gens et les mœurs mieux qu’il ne les connaissait lui, Tristan !… Mourir ?… Il devait reculer ce moment par des feintes, des retraites, des astuces de huron, alors qu’en bonne santé, une arme à la main, il se fut défendu sans crainte et sans dommage. Bon sang ! Comment ne pas se reprocher son inadvertance ? Il n’avait pas songé à allonger les étrivières. Il fallait un si court laps de temps pour apprêter la selle à sa taille… Temps perdu en paroles vaines.
Il sentit son épaule s’ouvrir sous un taillant puissant mais malhabile, et vit l’homme d’armes chanceler sur sa selle, un long couteau de boucherie enfoncé dans un œil.
– Poussez-le et sautez sur son cheval ! hurla Tiercelet. Vous en faites pas : son compère craint pour sa vie, désormais !
Le second cavalier venait de s’immobiliser. Il embouchait un olifant.
« Tu peux souffler ! se réjouit Tristan. Tous ces chênes feuillus, à l’entour de nous, vont étouffer les appels de ta trompe ! »
Il rejoignit Tiercelet qui, d’un saut passait de son roncin sur la jument noire.
– Ce couteau, tu ne l’avais pas cette nuit.
Tiercelet talonna sa nouvelle monture.
– C’est… enfantin, messire, de rober un couteau à l’étai d’une boucherie… Pour les chevaux, ce fût malaisé, je l’avoue… Le limonier, une fois dételé de sa charrette, je l’ai mené doucement hors de la cité par sa longe et mis à l’abri d’un boqueteau proche d’où vous dormiez… La jument ? Elle devait appartenir à un marchand… Elle était attachée à l’anneau de l’auberge… On m’a vu, dénoncé… mais on ne m’a pas pris !
– Pourquoi, demanda Tristan, têtu, as-tu voulu que je monte cette jument ? Tu pouvais me laisser le cheval de trait.
– Vous ne pouvez ; dans le piètre état où la geôle et la putain vous ont mis, vous passer d’une selle… Vous avez d’ailleurs chu de la vôtre sans qu’on vous pousse !
Ils abandonnèrent le limonier. Tandis qu’ils traversaient la clairière. Tiercelet enragea :
– Pourquoi avez-vous essayé de paroler avec ce sergent ?
– Il se conduisait en honnête homme face à un malandrin : moi.
– Non : il se délectait de pouvoir vous occire.
– Tu m’as sauvé la vie deux fois encore : la selle et le couteau.
– Ce n’est peut-être pas fini, car votre niceté 35 ne cesse de vous porter grand tort… Venez : cette lueur, là-bas, c’est sûrement la Cure. Nous la traverserons aisément ; pas eux, qui sont couverts de fer.
Ils entrèrent dans la rivière à grand fracas. Tandis qu’ils la franchissaient droitement, Tristan se sentit enclin à admirer Tiercelet. « Non, tout de même ! » se reprocha-t-il en flattant l’encolure de l’étalon noir qui lui semblait moins terrible, maintenant qu’il le montait.
Dès qu’il eut posé ses sabots sur la rive opposée, le cheval, aisément, rejoignit la jument.
– Encore des arbres, dit Tiercelet. Ils nous protégeront.
C’étaient surtout des hêtres à l’écorce livide, lisse comme un parchemin, et des frênes bien droits dont on pouvait tirer des centaines de lances, d’arcs, d’épieux. Ils formaient en un lieu une sorte de galerie dans laquelle Tiercelet s’engagea tout en alentissant l’allure.
– Le sol est dur, tant mieux !… Ils perdront nos traces.
Les pas des chevaux produisaient un bruit sec, et toute l’épaisseur des feuillages neufs, vert tendre, résonna sous la chanson des fers. Les flèches du soleil qui, parfois, frappaient le dos du mailleur de Chambly, révélaient des muscles et une ossature solides. Cette force, désormais, n’inquiétait plus Tristan.
– Il y a eu un mort, dit-il. Tu as jeté ce couteau comme un bateleur.
– C’était vous ou lui. J’avais fait mon choix. Vous n’êtes guère pourvu en entendement, mais je vous garde ma confiance… Vous êtes incapable de faillir à vos devoirs de chevalier… Tenez, si ça se trouve, vous priez pour le repos
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