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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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marmouserie de me proposer cela ! La sagesse, l’intégrité n’ont pas cours au royaume des Valois !… S’ils veulent vivre, les loudiers (1) 57 doivent être peu ou prou des malandrins comme ceux qui les gouvernent, à commencer par ce roi Jean, qu’on dit Bon, et tous ses satellites y compris sa famille. La vérité c’est que moins on possède en bas, plus on exige en haut… Et pourquoi ? À quoi sert ce trésor royal toujours grossi, et qui empunaise le sang et les larmes ?
    Aux fêtes et cérémonies ; à l’entretien d’une chevalerie et d’une armée de vaincus… Oh ! Je suis loin d’être un niais : si nous comptons parmi nous des chevaliers et des clercs, ce n’est pas par amour de nous qu’ils nous ont rejoints, mais par malignité, goût de l’aventure, envie de trousser les femmes et de détrousser leurs époux !… Chaque jour voit venir de nouveaux compagnons. Nous pourrions maintenant vaincre l’ost royal !
    – Cela reste à prouver !
    Tristan s’encolérait ; Tiercelet, qui ne riait plus, grommela :
    – Les maréchaux du roi ont la crédulité, la jactance et l’impatience ; nos capitaines ont la prudence, la patience et l’astuce… Quant aux presbytériens qui consolent nos mourants, ils se sentent toujours liés à Dieu… Sans doute se disent-ils que plus ils s’engluent dans le péché, plus le pardon divin leur sera éclatant !
    C’était, pour Tristan, une façon trop simple d’envisager les choses. Il s’apprêtait à répliquer lorsque le miracle de pierre apparut à ses yeux.
    Blancs, si blancs que leur vue l’éblouissait un peu, les sanctuaires dédiés à sainte Marie-Madeleine et à saint Pierre se dressaient comme deux immenses châsses d’ivoire sur le ciel blafard, envahi de nuages gras. C’était ici que saint Bernard avait prêché, en 1146, la deuxième Croisade ; c’était ici que Philippe-Auguste et Richard Cœur-de-Lion s’étaient rejoints au commencement de la troisième. Ces dalles qu’il touchait maintenant d’un pied las, Saint Louis les avait foulées en faisant tinter ses éperons d’or.
    – Jamais, Tiercelet, je n’aurais pu penser que je viendrais en ce lieu !
    Le silence qui ceignait les monuments s’insinua dans sa tête, effaçant les questions, les doutes et les remords qui n’avaient cessé d’y remuer au cours de la journée. Comme cette basilique était belle ! Et ces sculptures que les ténèbres naissantes, clarifiés par deux pharillons fixés à la muraille, semblaient vouloir épargner.
    Tandis qu’il s’approchait, son intérêt faiblit Entre ces personnages et ses yeux s’interposait une déesse de pierre : la perfection faite femme. Ce souvenir, tout à coup singulièrement vivant, précis, le retint d’admirer ces célestes figures, bien qu’elles fussent peintes de couleurs vives – ou peut-être à cause de cela. Cette réserve dont il fut attristé, ressortissait sans doute à la scène d’une violence indue qui s’imposait à ses regards : de sa main largement étalée, le Christ, impassible, lançait des rayons de pierre dorée sur la tête des apôtres frénétiquement assemblés, interminables jongleurs qui s’allongeaient ou rapetissaient et n’avaient en rien semblance d’hommes sains – et même saints. Il y avait un irrespect malencontreux dans l’esprit et le ciseau de l’imagier qui avait composé cette œuvre.
    – Aimez-vous mieux le seuil de Notre-Dame ?
    – Est-ce comparable. Tiercelet ?… Serait-elle laide et nue de l’extérieur que cette demeure n’ai resterait pas moins sacrée. Faut-il faire grand cas de ces figures ?
    – Bon sang, oui ! Elles effraient menacent et n’invitent point à entrer… Est-ce ainsi que vous voyez le Christ et les apôtres ? On dirait qu’ils sont atteints du feu de saint Antoine (1) 58 ou de la danse de saint Guy !… Pensons plutôt à nous. La nuit s’assombrit ; la cité s’est vidée de toute sa bonne gent. Ne nous attardons pas : il nous faut manger et dormir.
    – Nous n’avons pas un seul écu et sommes vêtus comme des larrons.
    –  De plus, vous êtes navré à l’épaule et mon dos et ma hure prouvent que nous sommes des malandrins au sortir d’une échauffourée.
    Tristan fut insensible à cette affirmation. Malandrin, soit, mais fortuitement et par nécessité. Une main appuyée sur son ventre, il se demanda au moyen de quelle subtilité Tiercelet les tirerait d’affaire. Un acte brutal ? Non,

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