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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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visiblement ce que cachait ce sourire.
    Gabrielle, qui buvait un doigt de muscat en grignotant des fruits confits, ne put sans impolitesse se lever pour nous suivre. Aussi, le regard que je croisai en sortant avec son cousin ne me parut-il pas empreint de beaucoup de bienveillance…
    Nous sommes descendus dans la cour qu’il nous fallait traverser pour gagner le parc, puis nous avons longé l’aile du levant à laquelle s’adosse la chapelle.
    En passant, j’ai signalé à l’admiration de mon compagnon le puits que mon père avait fait orner de ferronneries dans le goût florentin. Nous le montrions toujours avec fierté à nos visiteurs. Tu ne peux l’avoir oublié.
    Avant de pénétrer dans le parc, tout en devisant, nous avons traversé l’enclos où s’élève notre colombier. Des froissements de plumages, des battements d’ailes l’environnaient. Combats farouches ou joutes amoureuses ?
    Après un mois de mars capricieux, avril rattrapait le temps perdu. Je n’ai même pas besoin de fermer les yeux pour revoir les pelouses fraîchement coupées, les lilas d’Espagne dont j’aimais tant le parfum, les tapis de muguet, de pervenches, de pâquerettes, de myosotis, les giroflées de velours jaune et brun, les touffes de genêts éclatants dont l’odeur trop sucrée m’entêtait et les parures virginales des beaux aubépins verdissants, fleurissants…
    — Que pensez-vous de mon jardin ?
    — C’est une sorte d’Éden.
    — C’est le mien en tout cas !
    — On aimerait s’y perdre en votre compagnie !
    — Fi donc, monsieur l’écuyer, point de fadaises, je vous prie !
    Je m’amusais du trouble de Pierre. J’éprouvais le besoin d’exercer mon jeune pouvoir comme on ressent parfois la folle envie de briser un jouet tout neuf pour voir ce qui se trouve à l’intérieur.
    Ronsard marchait près de moi, frôlant mon vertugade, sans plus rien dire.
    — Vous n’êtes guère bavard pour un poète, remarquai-je au bout d’un moment. Vous étiez plus loquace tout à l’heure, me semble-t-il.
    — C’est que j’étais sans doute moins ému !
    La voix, d’ordinaire bien timbrée, s’assourdissait.
    — Le printemps vous bouleverse à ce point ?
    Qui dira jamais combien la provocation et la crainte d’obtenir un résultat, souhaité mais aussi redouté, se mêlent inextricablement dans l’âme tâtonnante des filles de quinze ans ?
    — J’aimerais écrire des vers pour vous, déclara enfin Pierre sans s’arrêter à mes coquetteries.
    — Il ne me déplairait pas que vous le fassiez, répondis-je, enchantée par une proposition qui n’avait rien de déshonnête et traduisait un attrait flatteur. N’est-ce pas le rêve de toute femme d’être chantée par un poète ? Voyez Laure. Pétrarque l’a immortalisée !
    Du verger voisin, des cris et des rires fusaient, mêlés aux recommandations de Nourrice.
    — Savez-vous, Cassandre, que si je vous chante, ce sera pour vous parler d’amour ?
    Pour la première fois, il venait de prononcer mon nom. Il avait, d’emblée, trouvé une façon de le faire que personne d’autre depuis n’a jamais eue… La seconde syllabe s’attardait dans sa gorge, entre ses lèvres, comme s’il la goûtait.
    — Bien sûr ! Vous ne ferez que sacrifier à la coutume, répondis-je un peu trop vite sans doute, en prenant un air émancipé. N’en est-il pas toujours ainsi ?
    — Et s’il en était autrement ?
    Je considérai avec attention la pointe de ma mule de velours qui dépassait sous ma jupe.
    — Je ne serais pas forcée de le savoir.
    Grisée autant qu’éperdue devant l’évolution d’une situation qui m’échappait de façon imprévue, je me sentais trembler comme un animal pris au piège.
    — Je crois, continua Pierre avec une fougue que je devais voir renaître à mon égard bien souvent, oui, sur ma vie, je crois pouvoir composer pour vous des vers comme on n’en a écrit pour aucune autre, trouver des mots jamais employés, des accents entièrement nouveaux… Mais ces vers, ces mots, ces accents, je me les arracherai du cœur ! Vous me direz ensuite, Cassandre, si vous pouvez ignorer plus longtemps leur provenance !
    Je n’avais plus envie de badiner. Je cherchais une contenance sans la trouver. Pourquoi n’enseigne-t-on pas aux adolescentes comment se comporter devant les premiers feux de l’amour ? N’apprend-on pas aux jeunes soldats quoi faire devant les arquebusades ennemies ?
    Pierre

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