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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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s’inclina vers moi.
    — Depuis que je vous ai vue, l’autre soir, à Blois, danser et chanter le Branle de Bourgogne, je demeure ébloui. Vos traits, vos charmes, se sont gravés dans mon cœur comme dans le marbre. Jamais plus ils ne s’en effaceront !
    Son haleine effleurait mon visage où le sang se précipitait. J’avais le sentiment de perdre pied, de frôler l’évanouissement comme durant certains accès de fièvre quarte.
    — Cassandre, Cassandre, vous avez éveillé l’amour en moi ! Il coule à présent dans mes veines avec mon sang. Vous êtes ma vie !
    Plus l’émoi de Pierre s’accentuait, plus je me sentais déconcertée, inquiète, maladroite, nullement préparée à répondre à tant de véhémence amoureuse. Je ne rêvais que de me voir conter fleurette, nullement d’être entraînée sans préliminaires dans les tourbillons sulfureux de la passion ! Une angoisse inconnue naissait, se développait, s’épanouissait en moi. La peur, de nouveau… Ah ! Je n’étais pas faite pour être sollicitée par de si torrentueux désirs !
    — Cassandre, je vous aime, je…
    — Il n’était d’abord question que de poèmes ! m’écriai-je en rassemblant toutes mes forces de défense. Me serais-je trompée ?
    Tout en parlant, je reculais peu à peu, sans oser lever les yeux sur l’homme que je venais d’interrompre de si plate façon. Il se tut.
    Le silence qui suivit me parut fort long.
    Quand j’osai regarder de nouveau en face celui que j’avais sans doute cruellement déçu, je fus frappée de lire sur ses traits une véritable souffrance. Moi qui pensais que l’amour était jeu et galanterie, je me trouvais affrontée à une tout autre réalité. Décidément, rien ne se passait comme je l’avais imaginé…
    — Allons dans le verger, dis-je avec une certaine précipitation pour éviter un retour de flammes. Ma nourrice doit encore s’y trouver. Vous pourrez devant elle développer à votre aise vos projets poétiques.
    Il me suivit sans une parole.
    Un monde de réflexions et de pensées nouvelles s’agitait dans ma tête.
    Comme nous parvenions à la barrière donnant sur le clos où fleurissaient les arbres fruitiers, le galop d’un cheval retentit soudain. Suivant comme une flèche l’allée venant du bois, un cavalier monté sur un barbe nerveux lancé à vive allure passa non loin de nous sans même nous apercevoir.
    — Voici Antoine, un de mes frères, expliquai-je, heureuse de cette diversion. Contrairement aux apparences, il n’aime pas que l’équitation. De notre mère, il tient comme moi un goût très vif pour la République des Lettres. Vous pourrez en disserter à loisir avec lui lors de vos prochaines visites ici… Si toutefois il y en a…
    — Suis-je libre de ne pas revenir ? demanda Pierre avec une mélancolie que j’ai souvent retrouvée par la suite dans sa façon de s’adresser à moi. Même si je le voulais, le pourrais-je ?
    Témoignant d’un respect qui différait beaucoup de sa fougue précédente, il s’empara de ma main droite pour y appuyer longuement les lèvres.
    Nos regards demeurèrent liés un moment, puis je détournai la tête. En moi, quelque chose tremblait. D’effroi ? De ravissement ?
    D’un geste, je poussai la barrière qui séparait le parc du verger où des abeilles ivres de nectar bourdonnaient comme des folles entre les arbres éclatants.
    — Nous voici au royaume de l’insouciance, dis-je en désignant mes trois sœurs qui, sous une pluie de pétales, se poursuivaient en riant parmi les troncs. Il y a peu, c’était encore le mien.
    Pierre murmura quelque chose que j’entendis mal, mais où il était question de nymphe qui sentait encore son enfance… Je marchais devant lui et ne me retournai pas.

3
    Cueillez, cueillez, votre jeunesse.
    Ronsard.
     
    Avec le recul du temps, les semaines qui suivirent me paraissent innocentes, même si, sur le moment, je les ai considérées d’une tout autre façon.
    Instruit par une première expérience, Ronsard m’entourait d’une cour plus respectueuse, plus discrète aussi. Je lui en savais gré. Il avait pris l’habitude de venir chaque jour nous rendre visite. Ma mère le recevait dans la grande salle. Elle l’entretenait des poèmes qu’elle était en train de lire. Mon frère Antoine, qui me ressemble par ses traits et par son goût pour la poésie, assistait avec moi à ces conversations qui tournaient le plus souvent autour de la glorification de

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