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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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Tâchez de vous montrer enfin plus raisonnable !
    Pierre trouvait que je l’étais trop et ma mère pas assez. Que faire, à quoi m’en tenir ?
    Les semaines qui suivirent demeurent dans mon souvenir aussi floues que les minutes qui ont précédé ma présentation au Roi. Pour les mêmes causes : j’allais devoir subir une épreuve dont toute ma vie dépendrait. L’appréhension me paralysait, me faisait perdre mes moyens.
    Pouvais-je lutter sans fin ? Je n’avais plus de nouvelles de Ronsard. Les mois passaient. Je butais toujours contre les mêmes obstacles qui, je le savais, s’élèveraient jusqu’à notre dernière heure entre Pierre et moi. Mes compagnes blésoises commençaient les unes après les autres à se marier. Ma famille exerçait sur moi une pression ferme, constante, à laquelle je ne pouvais sans fin me dérober.
    Mon amie Catherine, à qui je me confiais, était bien la seule à me conseiller de rester fidèle à Pierre.
    — Pourquoi ne pas être partie avec lui ? me demandait-elle. Il vous eût menée au pays d’amour… Entre une ronde de jours, sans doute incertains, mais réchauffés par la haute flamme de la passion et la vie sans surprise, sans ravissement, sans élan, dont vous voici menacée auprès d’un homme qui vous est indifférent, comment pouvez-vous hésiter ? Votre cœur est-il endormi ? Secouez-vous, Cassandre ! Réveillez-vous ! Partez rejoindre Ronsard à Paris !
    Ces adjurations me bouleversaient.
    Je nous revois marchant dans notre parc, au hasard des allées que nous parcourions sans nous lasser, l’une au bras de l’autre, débattant à perdre haleine de ce qui m’attendait et de ce qu’il me fallait faire…
    Il faisait chaud, orageux. Nous devions parfois courir pour aller nous mettre à l’abri d’une pluie rageuse dans la resserre du jardinier, ou bien nous nous étendions sur l’herbe roussie du verger, sous quelque pommier aux fruits verts. Nous discutions, nous confrontions nos avis contraires mais toujours attentifs, nous échangions nos impressions, nous défendions nos points de vue avec fougue, besoin de convaincre, arguments connus et pourtant toujours repris.
    La nature secrètement ardente de Catherine la poussait à me détourner d’une union qu’elle considérait comme un enlisement pour me pousser à rompre les ponts, à me précipiter vers une aventure amoureuse qui lui semblait exaltante. Elle l’aurait sans doute fait. Je ne m’en sentais pas capable. Je lui opposais avec des mots sages, qui me faisaient fugitivement retrouver dans mes propos l’accent de ma mère, des objections de femme convenable.
    L’idée de quitter ma demeure, ma famille, la sécurité à laquelle je tenais, pour aller me jeter à corps perdu dans une équipée réprouvée par tout le monde, me figeait d’effroi.
    Quand il m’arrivait de brosser jusqu’au bout de mon imagination le tableau de ce qui m’attendrait à Paris s’il m’arrivait de m’y rendre, je sentais un gouffre se creuser dans ma poitrine, dans mon ventre, une sensation comparable à celle qu’on doit éprouver en tombant dans un précipice. Je suffoquais.
    Je restai à Talcy.
    Un soir d’octobre, j’enveloppai avec le plus grand soin dans une toile fine un petit portrait peint sur émail et serti d’un cadre ovale en argent. C’était une miniature qu’un peintre à la mode, de passage à Blois, avait fait de moi l’année précédente. Une certaine mélancolie que j’aimais bien se lisait dans mon sourire.
    Je glissai sous la toile de l’emballage une courte lettre :
    « Pierre, y disais-je, conservez, je vous prie, cette image de moi. En faveur de ce don, ne m’en veuillez pas trop pour la nouvelle qu’il m’est si pénible de vous apprendre mais que je dois cependant vous annoncer moi-même si je ne veux pas vous en laisser informer par d’autres. Il me semble plus honnête de vous faire part sans détour de mon mariage. J’espère que vous comprendrez et que vous pardonnerez. Vous êtes clerc. Cet obstacle insurmontable vous éloigne à jamais de moi, de moi qui ne peux supporter l’idée de vieillir solitaire. De leur côté, mes parents ne me laissent pas de répit. J’ai donc accepté de devenir l’épouse de Jean de Pray, votre cousin. Le contrat est fixé au vingt-trois novembre. Ne me haïssez pas. Notre engagement secret demeure vivant dans mon cœur. Je vous jure que ce cœur en conservera éternellement le respect. Je serai toujours vôtre sans

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