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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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chaperons. Ils se lassèrent vite de me surveiller et rejoignirent sans tarder deux belles filles qui les attendaient. Je me vis donc assez libre pour danser avec Ronsard.
    Émus tous deux de nous retrouver dans l’immense salle d’apparat où nous nous étions rencontrés pour la première fois un an auparavant, nous étions également un peu gênés. Notre histoire interrompue nous mettait mal à l’aise. Les lettres reçues me revenaient en mémoire avec leurs tendres et violents reproches. Je devinais que Pierre, de son côté, dressait en même temps un bilan assez mélancolique des douze mois écoulés.
    Pour commencer, afin de dissiper notre embarras, je l’interrogeai sur son art, ses projets récents. Il me confia qu’il cherchait un protecteur susceptible de s’intéresser à sa poésie.
    — Bien que j’aie déjà composé de nombreux poèmes, ils ne me semblent pas assez parfaits pour être publiés en recueil, dit-il tout en dansant une gaillarde, fort à la mode alors. Il me faut attendre. Une œuvre est comme un arbre. Elle ne parvient à maturité que lorsque chacun de ses fruits est à point.
    Je le trouvais changé. Plus inquiet de sa gloire, plus assuré peut-être d’un destin qu’il pressentait déjà…
    Il n’avait pas renoncé pour autant à me conquérir et continuait à me presser de lui céder.
    — Voici notre second printemps, Cassandre. Ne le laissez pas s’évaporer ainsi que le premier. Le temps coule comme la Loire. Il nous emporte. Nous nous voyons si peu que l’instant qui passe en devient encore plus précieux. Vous allez sur vos seize ans… Donnez-moi le seul bonheur auquel j’aspire, mon ange, donnez-moi votre jeunesse en fleur, je ne m’en rassasierai pas !
    — Non, Pierre. Non. Quittez cette hantise.
    — Vous vous détachez de moi !
    — Que non pas, mon poète ! Je pense souvent à vous au contraire. Vous le savez.
    — En vérité, vous me maintenez à la portion congrue. Je dois me contenter des miettes de votre vie !
    — Pierre, aimez-moi sans me demander l’impossible. J’ai tant besoin de pouvoir compter sur votre amour…
    — Je ne demande qu’à vous le prouver !
    — Taisez-vous, vous me faites peine. Tenons-nous-en à notre pacte secret. Nous sommes liés, Pierre, de façon si inhabituelle, si admirable, que rien, jamais, ne doit nous séparer. Ni votre insistance, ni…
    — Ni votre froideur ! lança-t-il d’un ton vif. Décidément, Cassandre, vous gâchez vos plus belles années !
    La danse se terminait.
    Nous gagnâmes l’embrasure d’une fenêtre au-delà de laquelle je retrouvai le décor de ma présentation. Les yeux fixés sur la cour bourdonnante d’activité nocturne, je continuai sans beaucoup d’illusion un entretien qui tournait en rond. Notre dialogue était sensiblement le même qu’à Paris quatre mois plus tôt, sans issue…
    Ce soir-là, nous nous sommes quittés avec le sentiment qu’aucune solution ne se présenterait jamais à nous.
    Pierre repartit. Plus encore qu’après mon retour de la capitale, en décembre précédent, je le sentais loin, si loin de moi…
    Je me souviens de promenades solitaires dans le parc de Talcy que le printemps fleurissait de nouveau. Je me revois composant des bouquets de muguet et de pervenches sur lesquels coulaient mes larmes.
    En réalité, tout s’est joué pour moi durant cette saison d’amertume.
    Notre dernière entrevue avait achevé de détruire les chimères dont je m’étais bercée. Entre Ronsard et moi rien n’était possible. Rien ! Je voyais s’étendre à l’infini devant mes yeux brouillés de pleurs, des années monotones, entrecoupées de retrouvailles sans lendemain que ponctuaient reproches et querelles.
    Était-ce une perspective acceptable à seize ans ?
    L’union mystique à laquelle j’avais cru avec toute ma naïve sincérité, à laquelle, sans doute, j’avais été la seule à croire, pouvait-elle meubler une existence ?
    Par ailleurs, que me proposait Pierre ? Une aventure étirée sur des années, un attachement sans suite, sans réalisation, sans but, sans assurance aucune…
    En dépit du tendre sentiment qui me portait vers un homme dont l’âme, le cœur, le corps (eh oui !) me plaisaient, j’étais bien forcée de constater que ce penchant, pour partagé qu’il fût, ne débouchait sur aucun accomplissement. S’il n’était pas envisageable pour moi de devenir la femme d’un tonsuré, je n’accepterais jamais non

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