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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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demi-confidences, elle ne connaissait de mes difficultés que ce que la décence me permettait d’avouer à une vierge qui semblait décidée à ne jamais convoler en justes noces : l’égoïsme de Jean, son indifférence, son manque de tendresse. Rien de tout cela ne lui semblait suffisant pour condamner un époux auquel je m’étais liée de mon plein gré.
    — Toutefois, continuait-elle, demeurez digne et ferme face à un homme qui cache sous tant d’élégance si peu de délicatesse. Qu’il se sente obligé de vous respecter. Le respect mutuel est une condition essentielle à la vie en commun.
    Elle avait raison. Mais je n’ai pas toujours su appliquer ses conseils.
    C’est vers ces moments-là que je me suis remise à songer à Ronsard.
    Au début de mon installation sous le toit conjugal, la nouveauté du lieu, le souci de tenir honorablement mon rôle de maîtresse de maison, le choc des étreintes nocturnes si décevantes, si pénibles, tout cela occupait mes pensées.
    Avec l’accoutumance, une certaine nostalgie amoureuse me remonta du cœur à l’esprit. Je commençai à me remémorer ce qui s’était passé entre le mois d’avril où j’avais connu Pierre et l’envoi de mon portrait. Mes souvenirs étaient mes seuls biens. Tout ce qui me restait. Je ne savais plus rien de mon poète. Gabrielle de Cintré, que je ne pouvais éviter de rencontrer lors de certaines réunions, m’avait seulement appris qu’il continuait ses études de grec et de latin à Paris.
    Grâce à ce que vient de me confier Jean Galland, je sais à présent que, de son côté, Ronsard ne m’oubliait pas. Ma lettre, à laquelle il ne donna aucune réponse, l’avait rendu fou de chagrin et de jalousie. À cette fureur première, avait ensuite succédé un désespoir profond. Bien entendu, il avait pris mon mariage pour ce qu’il était : une trahison. Il m’en voulut longtemps.
    D’après Galland, un sonnet qu’il publia bien plus tard traduit son état d’esprit durant les mois qui suivirent mon reniement :
     
    C’est trop aimé, pauvre Ronsard, délaisse
    D’être plus sot, et le temps dépendu
    À pourchasser l’amour d’une maîtresse,
    Comme perdu pense l’avoir perdu.
     
    Ne pense pas, si tu as prétendu
    En trop haut lieu une haute déesse,
    Que pour cela un bien te soit rendu :
    Amour ne paist les siens que de tristesse.
     
    Je connais bien que ta Sinope t’aime,
    Mais beaucoup mieux elle s’aime soi-même,
    Qui seulement ami riche désire.
     
    Le bonnet rond, que tu prends maugré toi,
    Et des puînés la rigoureuse loi
    La font changer et (peut-être) à un pire.
     
    Que d’amertume dans ces vers ! J’en suis bouleversée en me les redisant à présent que je sais ce qu’ils signifiaient. Le nom de Sinope m’avait abusée, mais il paraît qu’il m’appelait parfois de ce nom grec pour ce que mes yeux l’avaient blessé au cœur. Sinope était une déesse dont les regards tuaient…
    L’existence de Pierre, par ailleurs, ne se montrait pas des plus satisfaisantes. Son espoir de trouver un mécène ne s’était pas réalisé. La reine de Navarre ne paraissait pas s’intéresser à l’ode qu’il lui avait adressée. Elle devait avoir bien d’autres soucis en tête ! Son ralliement tardif à la duchesse d’Étampes l’avait éloignée de la Cour, rejetée dans une demi-disgrâce.
    Or, ce n’était pas le moment d’être tenu loin du pouvoir ! Notre roi François était condamné. Chacun le savait à présent.
    La mort d’Henri VIII, le roi d’Angleterre, l’avait beaucoup frappé. D’étranges liens de connivence, de rivalité, d’estime, de lutte, s’étaient noués entre les deux souverains vieillis. La disparition de l’un donnait à réfléchir au survivant miné par la maladie.
    Une agitation souterraine agitait la Cour de France.
    Rapportés par mon mari, des échos m’en étaient revenus aux oreilles. Comme tout le monde je me préoccupais de remous qui pouvaient devenir pernicieux pour le royaume.
    Exaspéré par la façon dont le clan de la maîtresse royale surveillait le Roi mourant, le Dauphin s’était décidé à rejoindre la Grande Sénéchale à Anet. Au début du printemps, il fallut l’en faire revenir d’urgence. Son père était à l’article de la mort.
    Le dernier jour du mois de mars 1547, le roi François s’éteignit pieusement après avoir manifesté une grande contrition. Il avait déploré ses désordres passés et, sur les

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