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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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début, il accomplissait sans rechigner ce qu’il appelait en prenant le parti d’en rire, la traversée du désert. Au fil des nuits, ses visites s’espacèrent. Vint un moment où elles se firent très rares. La distance que j’avais établie entre nous découragea-t-elle sa flamme ? Ne serait-ce pas plutôt ce qu’il ne tarda pas à nommer, lui aussi, ma froideur ?
    Avec lui, pourtant, j’avais des excuses !
    Je ne sais comment se sont comportés à ton égard les hommes avec lesquels tu as pratiqué l’amour, mais aucun, quelle que fût sa rusticité, ne pouvait se montrer plus expéditif que celui qui m’était échu. Moi qui avais connu avec Ronsard toute une gamme de caresses, parfois audacieuses, moi qui n’imaginais pas qu’on pût se passer de ces prémices avant un accomplissement que je goûtais bien moins qu’elles, je m’en voyais totalement privée. Jean ne me touchait jamais de ses mains. Il ne m’embrassait pas. Seul, l’acte charnel l’intéressait. Il l’accomplissait avec emportement, puis s’endormait aussitôt, à moins que je ne le prie de regagner sa chambre.
    Pour moi, les yeux fermés sur mes déceptions, je pleurais en silence auprès de lui avant de le voir s’éloigner avec soulagement.
    Mon attitude ne lui plut pas. Il s’en plaignit avec une brutalité, une verdeur de langage, que j’ai retrouvées souvent depuis dans la bouche des jeunes gens de la fin de ce siècle qui ne se piquent plus guère de courtoisie et se comportent aisément ainsi que des palefreniers… Du temps du roi François, puis sous Henri deuxième du nom, il n’en était pas de même. Un reflet des cours d’amour s’attardait encore au début de ce siècle sur les hommes et les femmes de ma génération. La goujaterie n’était pas encore de mode. Il était courant de courtiser longuement sa belle avant d’en obtenir la faveur espérée…
    Jean était donc en avance sur son époque. Ses obscénités n’obtenant pas de meilleurs résultats que ses exigences, il y renonça enfin. Comme sa vanité et sa complaisance envers lui-même étaient sans doute plus fortes que les sentiments qu’il prétendait me porter, il ne tarda pas à chercher ailleurs la docilité admirative que je lui refusais.
    S’il lui arriva par la suite de passer quelques moments dans mon lit, ce fut sans doute plus pour affirmer ses droits que par plaisir.
    Une sorte d’entente tacite s’établit alors entre nous. Notre vie privée était un désastre, mais nous n’en laissions rien paraître. D’un commun accord, nous décidâmes de jouer le rôle des jeunes époux unis qu’il nous paraissait convenable de simuler. S’il est une chose que nous avons éprouvée tous deux de la même manière c’est bien le désir de ne rien laisser percer de nos déconvenues mutuelles. Aux yeux de notre entourage, l’image de notre couple devait demeurer sans faille. Aussi, durant assez longtemps, personne ne se douta-t-il de rien. Pas même ma mère qui venait parfois faire de courts séjours chez nous. Tout au plus déplora-t-elle qu’aucun enfant ne vînt agrandir notre foyer. Je lui répondais que nous avions bien le temps.
    Mon mari passait ses journées hors de chez lui. Il inspectait ses forêts, rendait justice, courait les réunions mondaines, chassait, partait rejoindre la Cour quand elle se trouvait à proximité et, surtout, servait le duc de Vendôme, son suzerain bien-aimé, lorsqu’il résidait dans son duché.
    Poussée par le souci de donner le change sur la réalité de notre situation conjugale, je le suivais parfois dans ses déplacements. Je préférais cependant mille fois rester dans mon appartement en hiver, dans le parc en été, à lire, à faire de la musique avec des amies, à bavarder, à jouer avec elles à certains jeux de société.
    Catherine de Cintré me fut alors d’un grand secours. Avec sa lucidité et son courage, elle m’aida à m’accommoder d’un état dont elle avait l’élégance de ne jamais me rappeler combien elle avait cherché à m’en détourner.
    — Il faut savoir accepter les inconvénients des avantages qu’on a voulu obtenir, me disait-elle. Vous avez consenti à ce mariage, ma Cassandre. Vous devez bien admettre que, s’il n’est pas aussi heureux que vous l’espériez, vous avez cependant atteint le but que vous vous étiez fixé : vous voici mariée. N’était-ce pas votre plus cher désir ?
    J’acquiesçais. Comme je ne lui avais fait que des

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