Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
Vom Netzwerk:
d’avancer devant moi. Aucun homme normal ne se contentera d’un pareil compromis. Ou bien il vous amènera à partager sa façon de voir et vous devrez renoncer à votre angélisme ou bien il se détachera de vous.
    Marie tranchait un peu vite. Elle oubliait que sous mon apparente docilité j’étais capable d’obstination.
    — Nous verrons bien ! lançai-je à mon tour. Pour ce qui est de moi, je ne fléchirai pas, soyez-en certaine. Quant à Pierre, il sait ce que pratiquer la courtoisie signifie. Je pense pouvoir le maintenir autant que je le voudrai dans cet état platonique dont je reconnais que notre siècle n’est pas prodigue.
    Durant l’été qui suivit cette conversation, les événements parurent justifier mon attente.
    Afin de donner le change à mon voisinage et aussi pour ne pas attiser par trop de bonnes grâces l’ardeur de Ronsard, je me résolus à recevoir davantage, à sortir, à inviter chez moi de temps à autre des hôtes de passage : ma mère, mes jeunes sœurs et, comme la jalousie de mon mari écartait toute présence masculine, sa sœur qui était bossue, cette Marguerite qui m’avait la première fait connaître les Musset. Mes relations avec elle évoluèrent malheureusement vers une sorte de méfiance réciproque qui ne contribuait guère à rendre plaisants les séjours qu’elle effectuait à Courtiras. L’infirmité dont elle souffrait provoquait en elle une aigreur tant bien que mal dissimulée sous une fausse cordialité.
    En vivant à ses côtés, il me fut pénible de découvrir que ma belle-sœur faisait partie de la cohorte plus nombreuse qu’on ne le pense de ceux qui ne se montrent jamais aussi attentionnés à l’égard des autres qu’au moment où ceux-ci ont des ennuis. De cette disposition de leur caractère découle à leurs yeux l’évidence de leur propre bonté et ils en tirent avantage. L’expérience m’a appris que le malheur allèche nombre d’individus qui se consolent sans doute de leurs déboires personnels en s’apitoyant avec complaisance sur les infortunes d’autrui. C’est une espèce moins rare qu’on ne serait tenté de le croire. Contrairement à ce qu’on a l’habitude d’affirmer, si la prospérité attire beaucoup de monde autour de ceux qu’elle favorise, l’adversité en appâte d’autres dont les intentions ne sont pas toujours pures…
    Marguerite était de ceux-là. Plus tard, en une occasion où son rôle m’a été affreusement préjudiciable, elle l’a prouvé de la plus hypocrite façon…
    Pour en revenir à l’été dont je te parle, je dois te dire qu’en plus des précautions que je t’ai énumérées, je m’arrangeais aussi pour que nos moments de solitude, à Pierre et à moi, fussent moins réguliers qu’auparavant et de point trop longue durée.
    Au début de l’automne, un accès de fièvre quarte comme il m’arrive hélas souvent d’en subir me tint au lit plus d’une semaine, suivie d’une autre consacrée à la convalescence.
    Jean se trouvant là, je demeurai de longs jours sans voir Ronsard, exilé de Courtiras. Il en fut si malheureux qu’il composa plusieurs poèmes sur la maladie qui me tenait éloignée de lui. Dans l’un d’entre eux, il s’en prit même au médecin qui venait me saigner chaque matin, l’accusant de profiter de la situation pour me palper d’indiscrète façon… Cette jalousie-là me flatta en secret alors que celle dont continuait à me poursuivre mon mari m’exaspérait sans cesse davantage.
    Aux fêtes de la Noël, je fis la connaissance de Joachim du Bellay. Pierre, qui m’avait si souvent parlé de lui, l’invita à Vendôme, après un court séjour à la Possonnière où il était allé rendre visite à son frère Claude qu’il aimait bien. Or, l’oncle de Joachim possédait sur le versant opposé de la vallée du Loir un château imposant où son neveu se rendait avec plaisir. Les deux amis avaient alors décidé de prolonger leur rencontre en passant quelque temps ensemble au domicile de Ronsard.
    L’auteur déjà célèbre de la Défense et illustration de la langue française me plut tout de suite par son aspect rêveur, insouciant, et par son détachement sincère de toute vanité littéraire. Il dissimulait avec pudeur, sous un maintien ironique, une difficulté à accepter la vie telle qu’elle est, qui me le rendit très proche. Sensible, timide, il se réfugiait derrière une désinvolture qui n’empêchait pas qu’on le sentît

Weitere Kostenlose Bücher