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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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contenterai de ces humbles tributs de la campagne parce qu’ils viennent de vos mains, assurait-il, plein d’entrain. Pourtant, vous vous trompez sur un point, mon cœur : la nature n’est pas pour moi une déesse païenne. Elle fait, tout au contraire, partie du plan de Dieu, de Son projet sur nous. Elle est Son œuvre et Son témoin !
    Il m’expliquait avec enthousiasme sa vision de l’univers et nous nous lancions dans des discussions infinies.
    La musique, la poésie, la danse aussi, parfois, parachevaient ces heures si pleines durant lesquelles j’apprivoisais l’amour.
    Pierre m’enseignait aussi à versifier. Nous échangions nos œuvres. Il prétendait que je ne manquais pas de talent et m’incitait à poursuivre. En outre, il m’assurait que je l’inspirais de telle façon lui-même qu’il n’avait jamais si aisément composé et qu’on ne pourrait plus, désormais, lui reprocher une paresse qui le tenait avant qu’il ne vînt à Courtiras.
    Bref, je jouais auprès de lui le seul rôle qui me plût : celui d’amie de cœur, d’inspiratrice, de muse.
    Si je suis parvenue à maintenir pendant des mois un équilibre fragile entre mon penchant pour un mode de vie qui me convenait si bien et les tentatives plus audacieuses de Pierre, ce ne fut cependant pas toujours facile.
    Parfois, les mains aventureuses de mon poète s’égaraient sur mon corps. Il me fallait m’arracher à un entraînement dont les perfides douceurs m’auraient conduite là où je ne voulais pas me rendre. Je me défendais. Il insistait. Nous nous disputions et il s’en repentait ensuite.
    Un soir, dans le pavillon de musique, alors que la Saint-Jean toute proche étirait sans fin les heures en de longues et tièdes soirées qu’embaumaient les tilleuls, je crus bien succomber.
    Ronsard était resté souper. Avant de repartir pour Vendôme, il m’avait demandé un dernier chant. Comment aurais-je pu le lui refuser ? Selon son habitude quand je jouais du luth pour accompagner ma voix, il s’était assis à mes pieds.
    Lorsque j’en eus fini, il posa sa tête sur mes genoux. Le temps s’immobilisa. La langueur de l’air, les senteurs de juin, l’harmonie de l’instant où se conjuguaient les charmes de la musique avec ceux de l’été proche et, surtout, le trouble partagé, m’incitèrent à l’embrasser soudain sans ma retenue habituelle. Profitant de dispositions dans lesquelles il me trouvait si rarement, il m’attira alors avec précaution sur les coussins éparpillés autour de nous et commença à me caresser. De mes épaules à ma gorge, de celle-ci à mes seins jaillis des lingeries dégrafées, il procéda par prudentes étapes, en une progression savante et affolante vers le but dont il rêvait…
    Mais il perdit bien vite la maîtrise de soi qui lui aurait peut-être assuré la victoire et s’enfiévra. Relevant le bas de ma jupe, il retroussa mon vertugade et se livra sans plus attendre à une exploration trop hardie à mon gré…
    Je le repoussai, me redressai en tremblant et m’éloignai de lui.
    — Je ne veux plus vous voir avant deux jours, Pierre, dis-je d’une voix blanche. Rentrez chez vous !
    Quand il revint le surlendemain, tout contrit, il m’apportait un poème rempli de protestations repentantes :
     
    Si ma main, malgré moi, quelque fois
    De l’amour chaste outrepasse les lois
    Dans votre sein cherchant ce qui m’embraise,
    Punissez-la du foudre de vos yeux,
    Et la brûlez : car j’aime beaucoup mieux
    Vivre sans main, que ma main vous déplaise.
     
    Je ris, je lui pardonnai et notre réconciliation fut douce…
    En te faisant part de ces événements que tu ignorais jusqu’à ce jour, Guillemine, je m’aperçois que je pourrais sembler froidement coquette et calculatrice à qui ne me connaîtrait pas. Je ne voudrais pas que tu t’y méprennes. En me comportant envers Pierre comme je viens de te le dire, je ne me livrais en aucune façon au trouble jeu de la séduction. Seule, l’appréhension instinctive d’une femme mal mariée que son initiateur était parvenu à dégoûter des choses de l’amour m’incitait à repousser des avances dont la conclusion inévitable m’angoissait.
    Dès ce moment-là, cependant, je mesurais combien notre situation était fausse et que mon bonheur reposait sur des assises on ne peut plus précaires.
    Bien que rares, les retours de mon mari interrompaient également nos rendez-vous. À la maison, Jean se montrait grincheux,

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